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ARTE CONCERT – À LA DEMANDE – SPECTACLE

Le titre du spectacle chorégraphié par Marcos Morau pour le Ballet national d’Espagne rend à César, autrement dit au photographe Ruven Afanador, ce qu’il lui doit : son inspiration. C’est à partir des images sur le flamenco réalisées par cet artiste colombien, collaborateur des revues Vogue et Vanity Fair, que Morau a projeté son imaginaire fertile.

Lire le portrait (en 2016) : Article réservé à nos abonnés Marcos Morau, chorégraphe hypnotique

Deux livres notamment, somptueux, Mil Besos. 1 000 Kisses (Rizzoli, 2009), dédié aux femmes dans le flamenco, et Angel Gitano. Hommes de flamenco (La Martinière, 2014), ont musclé sa vision scénique sans qu’elle colle pour autant à la peau des photos. Si quelques éléments comme autant d’éclats émaillent la pièce qui se joue parfois dans un studio de prises de vue, Morau, également photographe, amplifie les images d’Afanador et s’en émancipe avec toujours ce facteur de sidération électrique qu’il sait générer sur scène.

En noir et blanc, zébré par le rouge claquant sur la bouche des 31 interprètes, Afanador, sous la caméra d’Isabelle Julien, déploie sa plastique troublante et sans défaut, transpercée par des jets de lumière. La beauté y prend une saveur féroce. C’est la première fois que Marcos Morau, dont les créations, depuis 2005, se lisent telles des études amoureusement passionnelles des traditions et mythologies espagnoles, s’attaque au flamenco. On retrouve dans Afanador ses obsessions musicales, notamment les tambours présents dans le sublime Sonoma (2020), sous influence de Luis Buñuel (1900-1983), mais aussi les motifs de la religion et de la tauromachie qui irriguaient Los Pajaros muertos (2009) et Voronia (2015).

Une gestuelle sinueuse

Avec quelques complices de sa compagnie La Veronal, installée à Barcelone (Espagne), Marcos Morau s’est immergé dans la technique flamenca, les frappes de pieds, de mains. Il en détache et cadre serré certains éléments, dont le frénétique travail de jambes. Il rend hommage à cet art complexe où musique, voix et gestes sont inextricablement liés, en invitant un chanteur et deux guitaristes sur le plateau.

Toute l’imagerie et les accessoires sont là – le châle, l’éventail, les castagnettes, la bata de cola, longue traîne à volants typique du costume féminin –, mais redistribués selon les codes d’un flamenco queer, très présent sur les scènes contemporaines. Hommes et femmes échangent leur vestiaire. Les premiers vont torse nu et en jupons ; les secondes arborent des soutiens-gorge et des shorts façon corset. Ils dégoupillent par salves une gestuelle tendue et paradoxalement sinueuse, froide et brûlante, que l’écriture hachée de Morau énerve encore davantage.

Comme souvent chez Marcos Morau, la chorégraphie du groupe, de la masse, soulève des tableaux d’ensemble palpitants qui reflètent son inventivité. Les danseurs font corps commun avec vigueur, naviguant entre jeux géométriques et évolutions organiques. Une spéciale dédicace au Boléro (1961), de Maurice Béjart, rassemble les interprètes l’espace d’un moment, tandis que l’utilisation des chaises typiques du flamenco fait un clin d’œil à Pina Bausch (1940-2009).

Dans la réalisation d’Isabelle Julien, qui découpe l’action au plus près des intentions du chorégraphe en conservant une perspective ample sur le plateau, la torsion appliquée par Marcos Morau au flamenco, sur la bande-son sophistiquée de Juan Cristobal Saavedra, exaspère la sauvagerie de cette danse de transe indomptable.

Afanador. Ballet Nacional de España, spectacle de Marcos Morau avec le Ballet national d’Espagne filmé en février 2024 au Teatro Real de Madrid (Fr., 2024, 103 min). Réalisation : Isabelle Julien. Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 23 juillet.

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