Les Versaillais habitués à flâner dans les nombreux parcs et jardins que compte la ville n’ont pu ne pas remarquer un homme à la fine silhouette et aux longs cheveux noirs, coiffé d’une casquette, qui, pendant des mois, s’est livré à un étonnant manège. On a pu le voir appliqué à frotter énergiquement de ses mains le tronc d’un arbre mort, auparavant emmailloté dans un drap de lin blanc. Ou encore, à l’automne, équipé d’une profonde hotte, collecter des feuilles comme le font les enfants, ramassant des morceaux de bois de différentes essences, cueillant des amadouviers, ces champignons poussant sur les troncs et qu’utilisent les campeurs pour allumer un feu.
Ce glaneur de végétaux, c’est l’artiste Duy Anh Nhan Duc, né au Vietnam, en 1983, installé en France depuis l’âge de 10 ans. Après des années à composer, dans son atelier du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), avec des aigrettes de pissenlit et de salsifi, des œuvres aussi poétiques que délicates – le public avait pu en découvrir une sélection au Musée Guimet, à Paris, qui lui a offert une « carte blanche » en 2021 –, le plasticien autodidacte a jeté son dévolu sur les arbres. Les tableaux et sculptures que cette nouvelle orientation forestière lui a inspirés, qui questionnent la relation de l’homme à la nature, sont exposés à Versailles, au cœur de l’Espace Richaud, ancien hôpital royal réhabilité, dont une partie du bâtiment est désormais réservée à des manifestations artistiques.
Dans ce vaste espace haut de plafond, peint uniformément d’un apaisant jaune clair, Duy Anh Nhan Duc a mis en scène ses créations. Leurs teintes, toutes issues de la matière première végétale, s’harmonisent élégamment avec l’environnement. Dès l’entrée de l’exposition, on est intrigué par ces panneaux de lin suspendus, sous lesquels on passe et avec lesquels joue la lumière. Leurs couleurs se déclinent en différents tons, du sable au vert pâle, selon l’essence utilisée – platane, sureau, sophora, ginkgo, tilleul, noyer, marronnier… – pour le teinter.
« On a la chance, en région parisienne, de disposer d’une très grande variété d’espèces, souligne l’artiste qui ne se contente pas de récolter à Versailles, mais glane aussi dans Paris et autour de son atelier du Pré-Saint-Gervais. On en compte ainsi 260 à Paris, un record. » Ses teintures, il les obtient en hachant, puis broyant les feuilles et les fruits, comme nous le montre un film documentaire en fin de parcours. Dans les bains colorés obtenus, il plonge des pièces de lin ou de coton achetées en brocante ou trouvées dans les armoires familiales. Et voilà comment un drap de grand-mère se retrouve à vivre une seconde vie avec le noble statut d’œuvre d’art.
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