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Histoires Web lundi, décembre 23
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Au rythme des fashion weeks, la mode suit imperturbablement son cours, sans être hermétique au monde qui l’entoure. Lors de la semaine de la mode milanaise qui a, du 17 au 23 septembre, présenté les collections féminines printemps-été 2025, plusieurs créateurs ont exprimé, dans leur défilé, leur anxiété face à l’actualité, en adoptant des points de vue très différents.

« Le monde traverse des heures sombres en ce moment, et il est impossible de l’ignorer. Quand on exerce dans un domaine créatif, c’est un devoir de refléter l’état d’esprit des gens », estiment Luke et Lucie Meier. Le duo à la tête de Jil Sander réagit à la morosité ambiante en fignolant une garde-robe à la fois pragmatique et poétique, qui donne de l’assurance à celles qui la portent. Il y a des tailleurs aux épaules larges, aux manches égayées par des franges qui virevoltent autour du poignet ; des pantalons à la taille haute marquée par une ceinture si longue qu’elle frôle les genoux. Des tenues entières anoblies par des photos de Greg Girard, artiste canadien dont une partie du travail reflète la solitude des métropoles à l’aube des années 1980. Et aussi de très belles robes en dégradé de couleur, où la soie brillante évoque le reflet d’un coucher de soleil sur l’eau. La grâce des vêtements Jil Sander ne sauvera pas le monde, mais contribue à l’embellir.

Chez Diesel, c’est plutôt l’aspect environnemental qui préoccupe Glenn Martens. Des monticules de chutes de denim recouvrent le sol et les colonnes du vaste entrepôt où a lieu le défilé. En tout, cela représente près de 15 tonnes de tissu, que la marque promet de recycler après le show pour appuyer son discours écologique. « Il y a de la beauté dans les déchets, dans ce qui est usé et détruit », affirme le Belge, qui a encore affiné sa recherche textile cette saison. Tous les tissus – le denim en particulier, signature de la marque – sont déchirés, découpés, élimés, parfois réassemblés. Ces expérimentations rendent certains vêtements outrageusement sexy (des tee-shirts qui dévoilent la gorge, des shorts qui ne couvrent presque rien), mais, la plupart du temps, elles attirent l’attention : qu’est-ce donc que cette robe en PVC dont les bords découpés en longues franges sont rassemblés comme une écharpe autour du cou ? Ou cette robe épaisse en chutes de denim aussi foisonnante qu’une colonie de polypes ?

Loutres, éléphants et orques

Lors de la petite conférence de presse donnée en amont du défilé Versace dans les bureaux tout en verre de la marque, Donatella Versace ne porte pas du noir, comme à son habitude, mais un tailleur-pantalon rouge vif. « En ce moment, on a besoin de couleur, dit en soupirant la directrice artistique. On vit dans un monde déchiré par les guerres, où les mauvaises nouvelles s’accumulent tous les jours. La mode ne peut rien faire, hormis offrir un moment de légèreté. C’est ce que j’essaie de faire. » Mission accomplie lors de son défilé dans le château des Sforza, où les nobles pierres du XVe siècle créent un contraste réjouissant avec sa collection sous perfusion nineties – une période qui semblait plus heureuse à Donatella Versace. Les couleurs vives – lavande, citron, caramel, azur – cohabitent sur des imprimés floraux tirés des archives. Les formes sont assez simples : pour le jour, polo, cardigan, jupe midi et escarpins amusants, dont le talon prend la forme du parfum Bright Crystal ; pour le soir, robe drapée, mais toujours chamarrée. Va bene !

La saison dernière, le directeur artistique de Bottega Veneta avait imaginé une collection décrivant un « monde en flammes ». Cette fois-ci, Matthieu Blazy choisit de se réfugier dans un univers où l’émerveillement est encore possible, celui de l’enfance. Le public est accueilli dans un entrepôt empli de poufs en cuir en forme de loutre, d’éléphant, d’orque ou de renard – un bestiaire fabuleux réalisé avec l’éditeur de meubles Zanotta. « Cela représente l’idée de l’arche : un monde joyeux peuplé par des compagnons sympathiques qui font sourire et dire “waouh !” en même temps », décrit justement Matthieu Blazy. Sa collection prolonge cette réflexion sur l’enfance, avec des références discrètes aux films qui l’ont marqué : le jeu La Dictée magique, vu dans E.T. l’extra-terrestre (1982), de Steven Spielberg, est reproduit sous la forme d’un magnifique sac en cuir tressé ; le costume trempé de Tom Hanks dans Splash (1984), de Ron Howard, est imité dans une laine tropicale qui lui donne un aspect froissé.

La beauté de cette garde-robe se niche dans une foule de détails bien choisis : une broche en forme de grenouille logée dans le dos d’un cardigan pour le cintrer davantage, des pampilles accrochées en bas d’une jupe en cuir qui chaloupent à chaque pas, une veste de costume trop grande et trop large qui rappelle les enfants s’amusant à emprunter des vêtements à leurs parents, jusqu’à ces tournesols en cuir et tissu que certaines mannequins portent sous le bras, comme si elles sortaient de chez le fleuriste. « Cette collection répond à un désir de beauté, de joie, de moments pour soi. L’envie de pouvoir continuer à jouer. On a besoin de mode. C’est aussi un acte de liberté », devise Matthieu Blazy, qui signe sans conteste le plus beau et le plus doux défilé de la fashion week de Milan.

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