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LETTRE D’ISTANBUL

La voix est forte. La rage au cœur, le verbe ardent. Derrière le visage, usé de mille rides, les mains calleuses tendues vers les forces de l’ordre, impétueux et inconsolable, Bayram s’époumone à crier à la « trahison » et à l’« injustice ».

A 63 ans, ce père de cinq enfants, un modeste retraité, ancien porteur de rue – un hamal en turc – dans différents quartiers d’Istanbul, est ici, devant le bâtiment de la municipalité d’Esenyurt, pour protester contre l’arrestation, le 30 octobre, du maire de cet arrondissement populaire et périphérique de la mégapole, la plus grande circonscription électorale du pays avec son million d’habitants. Cinq jours qu’il vient ainsi battre le pavé dans son petit costume bleu nuit, élimé, simple mais digne, comme un ultime vestige d’une Turquie d’autrefois.

Bayram est en colère parce que son édile, Ahmet Özer – « un homme de sciences, vous imaginez ! » a été destitué en raison de liens supposés avec une organisation terroriste. « C’est un politicien de longue date, une personnalité publique d’origine kurde respectée par tous, affirme-t-il. Toute cette accusation est du baratin, la tarte à la crème lorsque le pouvoir veut se débarrasser d’un adversaire. » Il y a dans sa voix un mélange de certitude et d’appel au bon sens : « S’il est à ce point coupable, comment se fait-il qu’il ait pu ainsi participer aux élections sans que les autorités n’y trouvent à redire ? »

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Elu en mars, lors du scrutin municipal qui a consacré une victoire historique de l’opposition, M. Özer, candidat du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), a battu d’une très large avance son adversaire du Parti de la justice et du développement, l’AKP, fondé par Recep Tayyip Erdogan, à la tête du pays depuis plus de vingt ans.

A Istanbul, le 8 novembre 2024, devant la municipalité de l’arrondissement d’Esenyurt, des élus municipaux sont venus protester contre la destitution et l’arrestation du maire Ahmet Özer.

Le petit bout d’homme se redresse et reprend sa respiration. « Je suis profondément attaché à notre République mais je ne supporte plus qu’elle soit ainsi maltraitée. Avec la crise et l’inflation, on ne peut plus rien acheter. La justice, la santé, l’éducation ne fonctionnent plus. Et la moindre critique peut vous emmener en prison. Jamais la Turquie n’a été autant dévoyée. »

« Là où se joue la démocratie turque »

A l’écouter, c’est un peu toute l’histoire récente du pays qui défile à travers ses souvenirs. On y voit la figure du président Turgut Özal (1927-1993), l’homme du virage libéral du pays. L’évocation de Süleyman Demirel (1924-2015), le populiste et pragmatique, l’intendant de toutes les alliances. D’Abdullah Gül, l’ancien allié de M. Erdogan et qui fut président de 2007 à 2014 avant de se murer dans une opposition discrète. « Moi, je ne peux pas me taire, lâche Bayram, sans détour. Tout ce qui se passe est dramatique, c’est pourquoi je suis là, sur ce bout de trottoir, là où se joue la démocratie turque ou ce qu’il en reste. »

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