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« Il a essayé d’aimer. » Avec l’avalanche de témoignages sur les agressions sexuelles de l’abbé Pierre qui a suivi les premières révélations du mouvement Emmaüs, le 17 juillet, l’épitaphe devenait insoutenable. La plaque, apposée sur la tombe du religieux, à Esteville (Seine-Maritime), a été retirée. Le prêtre, fondateur d’Emmaüs, en 1949, pour lutter contre l’exclusion, a longtemps été la fierté de ce village de cinq cent soixante habitants, situé à 30 kilomètres au nord-est de Rouen.

Aujourd’hui, Esteville ne sait que faire de cet héritage encombrant. C’est là, en effet, que le prêtre a vécu de nombreuses années, au sein de la communauté installée route d’Emmaüs, dans un domaine légué en 1964 par Pauline Sanlaville, morte sans héritiers. Le manoir du XVIIIsiècle et le parc ont été aménagés, dotés de nouveaux ­bâtiments permettant l’accueil de personnes en difficulté et de compagnons âgés. « La commune est connue dans toute la France, et même au-delà, grâce à l’abbé Pierre », indique un panneau accroché sur un mur de la mairie. Le petit musée de 400 mètres carrés dédié au religieux ainsi que sa chambre laissée en l’état, son bureau et son atelier sont définitivement fermés, ont annoncé les dirigeants du centre d’accueil.

« On était content d’habiter le village de l’abbé Pierre, cela créait de l’animation », confie un homme devant sa maison, en requérant l’anonymat. Les révélations, « ça nous tombe sur la tête, témoigne-­t-il. ça va casser quelque chose. C’est un coup pour le village », soupire-t-il, confiant qu’un de ses voisins « en a pleuré ». Ce qui l’inquiète tout particulièrement, c’est le cimetière. « On craint le vandalisme sur la tombe de l’abbé, dit-il. Notre fille est enterrée à côté. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose… »

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Le maire (sans étiquette) est bien conscient du risque. « Je suis là pour que ça n’arrive pas », affirme Manuel Grente, élu en 2020. L’édile assure avoir sollicité la gendarmerie, qui a pris des dispositions. Emporté « dans l’essoreuse à salade médiatique » depuis que l’affaire a éclaté, il sait qu’il devra aussi toucher à l’héritage mémoriel. Une fresque monumentale représentant l’abbé a été réalisée en 2021 sur un ­bâtiment municipal par l’artiste Ernesto Novo. Il faudra « un nouveau projet », estime l’édile, ce qui impliquera de faire disparaître l’œuvre existante.

Le maire convaincu qu’il faut débaptiser l’école

L’école du village porte le nom du religieux. En juillet, des membres de l’association nationale Mouv’enfants sont venus demander qu’elle soit débaptisée. Partout en France, de nombreuses communes s’apprêtent à changer le nom d’une rue (il y en a cent cinquante dans le pays, selon l’Agence France-Presse), d’une salle communale ou d’un parc. « On ne peut pas laisser une école porter le nom de quelqu’un qui a touché la poitrine d’une enfant de 9 ans ou agressé une adolescente de 14 ans, justifie le maire. Même si c’est l’abbé Pierre. Ce n’est pas possible. » Il y en a pour 10 000 euros (fresque comprise), ­calcule-t-il, afin de faire tout disparaître. Mais c’est le conseil municipal qui en discutera et tranchera. L’élu, convaincu qu’il faut débaptiser l’école, sait qu’il devra convaincre ses administrés. Certains, en effet, s’interrogent encore, quand de nombreux autres se disent carrément réticents. C’est parce qu’ils n’ont pas lu les rapports qui livrent les témoignages accablants des victimes, pointe Manuel Grente.

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