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Histoires Web mercredi, décembre 25
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Derrière des immeubles d’un quartier périphérique de La Havane, de petits carrés de terre sont bien entretenus entre des lignes de bananiers. Sergio (tous les prénoms ont été changés) porte deux seaux à bout de bras pour arroser ses pieds de tomates. « Les tomates, c’est un luxe, je ne les mange pas, je les revends à prix d’or », dit-il en souriant. Il sort un mouchoir de sa poche, le frotte avec du savon et enlève méticuleusement les pucerons : « Ce serait plus efficace avec des produits chimiques mais il n’y en a pas. Même le savon vient parfois à manquer. »

Sergio n’est pas agriculteur mais fonctionnaire. Son lopin de terre est cependant devenu une source de revenu équivalente au salaire qu’il touche au ministère de la santé. Avec plusieurs voisins, ils ont défriché cette parcelle occupée par des ronces il y a trois ans et se relaient désormais, la nuit, pour protéger leurs cultures d’éventuels voleurs : « Le jardin fait des envieux car beaucoup dans le quartier ne mangent pas à leur faim. Le seul aliment disponible et gratuit ce sont les bananes qui poussent partout. On peut dire que les Cubains ne manquent pas de potassium. »

Selon la dernière enquête sur l’insécurité alimentaire menée en 2024 par l’ONG Food Monitor Program auprès de 2 700 foyers dans toutes les provinces de l’île, 96,27 % des personnes interrogées ont reconnu avoir de sérieuses difficultés pour se nourrir. Le même nombre (96,61 %) estime que la libreta, le carnet d’alimentation donné à chaque famille cubaine, est totalement insuffisante pour couvrir leurs besoins. Les légumes et les fruits, à l’exception des bananes et des mangues, sont particulièrement rares aujourd’hui dans leur diète.

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Depuis la pandémie de Covid-19 et avec l’établissement de nouvelles sanctions par l’ancien président américain Donald Trump, conservées par Joe Biden, Cuba est plongée dans une grave crise sociale. La hausse des prix sur un an, voisine de 70 % fin 2021, est revenue aux alentours de 30 % ces derniers mois, selon l’institut des statistiques cubain. La majeure partie des aliments est désormais importée, exacerbant les inégalités au sein de la société cubaine. C’est pourquoi les petits jardins à la périphérie des villes comme celui de Sergio et de ses voisins sont devenus si importants pour améliorer les repas et les revenus.

Production « destinée à l’exportation »

L’Etat cubain avait distribué des terres en usufruit à partir des années 1990 pour tenter de relancer une production agricole qui s’était effondrée en même temps que le bloc communiste. « Cuba a beaucoup investi dans son agriculture et, dans les années 1980, elle était même la plus moderne d’Amérique latine, explique l’anthropologue Marie Aureille, doctorante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de l’agriculture cubaine. Mais cette production était principalement destinée à l’exportation en particulier pour le sucre, le tabac et les agrumes. Surtout, cette agriculture a toujours été très dépendante des intrants agricoles : carburant, semences et fertilisants. A chaque fois que ces intrants ont manqué, que ce soit lors de la chute du bloc communiste ou plus récemment avec la crise liée au Covid-19, la production agricole s’est effondrée. »

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