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Comment représenter au théâtre notre société morcelée, telle qu’elle a abouti, depuis le 9 juin, au marasme politique que nous vivons ? Nombre de créations prennent au collet cette interrogation, dans ce Festival d’Avignon, avec une infinie diversité d’approches et d’esthétiques.

L’auteur et metteur en scène Baptiste Amann, né en 1986 dans les quartiers de la préfecture du Vaucluse, l’affronte avec un spectacle franc du collier et très efficace. Programmé dans la ville de Vedène – à une dizaine de kilomètres de la cité des Papes –, où le candidat du Rassemblement national a obtenu plus de 52 % des voix au premier tour des législatives, son thriller théâtral, intitulé Lieux communs, secoue le public, qui se lève comme un seul homme à la fin des représentations.

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Tout commence de nos jours, dans ce puzzle qui démonte peu à peu les rouages de la guerre de tous contre tous à laquelle aucun d’entre nous n’échappe désormais. Et tout commence dans un théâtre, où une metteuse en scène prénommée Caroline doit faire face à une occupation de jeunes féministes radicales très remontées. Motif ? Caroline a osé monter un spectacle à partir des textes poétiques, écrits en détention, d’un homme, Issa Comparé, qui a été accusé, quinze ans plus tôt, du meurtre d’une jeune femme.

A coups d’allers-retours temporels et d’emboîtement des récits, Baptiste Amann remonte le fil des événements. Que s’est-il passé, cette nuit de février 2007 ? Une jeune femme, Martine Russolier, est morte, défenestrée. Issa Comparé avait passé la nuit avec elle, dans le vaste appartement où elle l’avait convié, après être entrée en contact avec lui sur un site de rencontre. Jeune homme noir, il fait un coupable idéal, d’autant plus qu’il a appartenu, à une époque, à une mouvance identitaire, alors que Martine est la fille d’un homme politique d’extrême droite.

Difficulté de la réparation

La mécanique policière se met en place, qui charrie son lot d’inconscient sur le fantasme du « violeur noir » – que partagent, aux deux bouts du spectre politique, des policiers aux méthodes brutales et de jeunes activistes féministes – et de pressions politiques en raison du statut de la victime. C’est bien une histoire de la violence dont Baptiste Amann remonte le cours par éclats, violence engendrant la violence et l’enfermement dans les rôles de bourreau et/ou de victime.

L’engrenage qu’il met en place en ne s’interdisant aucun sujet malaisant – celui de la concurrence victimaire, notamment – arrime, maillon après maillon, le virilisme destructeur, la manière dont l’instrumentalisation d’un fait divers peut produire ses ondes de choc pendant des années et la fragilité de la vérité. Ainsi que la difficulté de la réparation, incarnée ici par une autre ligne narrative, qui voit la rencontre, dans un atelier de restauration de tableaux, de deux êtres appartenant l’une à l’entourage de l’accusé, l’autre à celui de la victime : une réparation qui, comme pour un tableau abîmé, ne rendra jamais aux êtres la vie qu’ils avaient avant le drame.

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