Abdelrahman Al-Shurafa maintient son regard fixe derrière des lunettes rectangulaires noires, le visage fermé et le dos droit tandis que le kinésithérapeute lui aplatit la jambe. Sa cheville tremble fort sous la contrainte, enveloppée dans un bandage blanc qui court de son mollet à ses orteils. Ils sont quatre gamins de Gaza à tenter de dompter leurs petits corps blessés dans la grande salle de la clinique de l’ONG Médecins sans frontières à Marka, dans le nord-est d’Amman, la capitale jordanienne. Un mouvement brusque soulève un peu le short de l’un d’eux, un garçon de neuf ans, découvrant le bout d’une énorme broche en métal qui lui enserre la cuisse. Un autre traîne ses pieds fripés par les cicatrices de vieilles brûlures. Abdelrahman, lui, a failli perdre sa jambe, explosée à la suite d’un tir de drone israélien. Sa silhouette chétive tranche avec les tournures de langage d’adolescent qui lui échappent parfois, au détour d’une phrase, béquilles de pudeur face à l’horreur.

Avant d’être lui-même blessé, il a croisé son premier cadavre en décembre 2023, lors des distributions d’aide dans le nord de Gaza. « C’était la première fois que je voyais quelque chose d’aussi bizarre, son crâne était à demi brisé, à moitié intact », décrit-il de sa voix qui cherche son octave. A quinze ans, il a vu des corps déchiquetés dans la cour de l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, « bras d’un côté et jambes de l’autre », une dépouille « à moitié décomposée que les gens ont couvert d’une bâche en plastique et enterrée dans le sable », un homme se vidant de son sang sur la route, énumère-t-il pêle-mêle, d’un ton rapide.
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