Un glacier qui saigne, c’est « dingue », comme le martèlent, au début du spectacle, des randonneurs qui postent frénétiquement des images sur les réseaux sociaux. Le phénomène peut néanmoins s’expliquer par la science. Sous l’effet du réchauffement climatique, des algues rouges se sont développées en nombre, jusqu’à changer la couleur de la neige fondue et empoisonner les eaux du fleuve qu’elle alimente. Lucie Vérot Solaure a fait de ce dérèglement naturel le point de départ d’une histoire simple, qui sert de trame à l’opéra Le Sang du glacier, de Claire-Mélanie Sinnhuber, dont elle a écrit le livret.
Présenté en création mondiale jusqu’au 14 décembre, au Théâtre du Point du jour, à Lyon, en coproduction avec l’Opéra de Lyon, ce séduisant travail d’équipe renouvelle et réactualise le genre de l’opéra de chambre (deux chanteurs, trois instrumentistes). A l’instar du massif dont la métamorphose suscite crainte et interrogation, l’intrigue développée par Lucie Vérot Solaure comporte deux versants.
L’un, objectif, déterminé par l’approche analytique du rougeoiement en cascade. L’autre, subjectif, lié aux émotions suscitées par la découverte du corps d’un alpiniste disparu 20 ans plus tôt. Associées dans une dimension que l’autrice appelle « réalisme magique », ces deux rampes d’accès au Sang du glacier constituent aussi les deux faces du personnage principal de l’opéra, Sofia, glaciologue qui, tout à ses études et à ses interprétations des prélèvements aquatiques, vit très mal la réapparition posthume de son père (le cadavre mis au jour), à la différence de son frère Matteo, plus pragmatique et plus humain.
Travail d’orfèvre
Efficacement éclairé par Yoann Tivoli, le plateau s’appréhende lui aussi, sur deux plans (scénographie de Stephan Zimmerli). Au fond, en hauteur, derrière un rideau de tulle, l’espace virtuel de la montagne et celui du trio instrumental. Devant, de plain-pied, le domaine de Sofia, avec, à gauche, sa table de travail (ordinateur, radio), et à droite sa paillasse de chercheuse (évier, tubes à essai), où trône le glacier en format réduit.
Très sensible aux mouvements des êtres (Sofia, hyperactive sur son siège à roulettes, Matteo, posé en toute occasion, animation grand-guignolesque des instrumentistes incarnant les badauds de base) et des matières (cellules des algues projetées sur écran, eau naviguant du robinet à la bouilloire), la mise en scène d’Angélique Clairand sert avec esprit le propos dystopique de Lucie Vérot Solaure dont le but, entre engagement écologique, réflexion humaniste, partage onirique, n’est pas toujours très clair.
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