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Qui est le patient zéro du Covid-19 ? Cinq ans après, le mystère demeure. Mais dans un témoignage passé à l’époque inaperçu, un jeune Gallois affirme avoir eu les premiers symptômes de la maladie dès le 25 novembre 2019, à Wuhan (Chine). Soit deux semaines avant le premier cas communément admis − une vendeuse de crevettes du marché aux fruits de mer de Huanan − et deux mois avant que la pandémie ne déferle dans le monde entier.

Le cas de Connor Reed − c’est son nom − n’a jamais été confirmé par des médecins. Faut-il le prendre au sérieux ? Son récit, fort détaillé, suscite depuis une foire d’empoigne sur les forums scientifiques et les réseaux sociaux.

Loin d’être anecdotique, il pourrait changer du tout au tout la manière de raconter l’origine du virus. Tout dépend du crédit qu’on apporte au témoignage de cet expatrié gallois : important pour Drastic (pour « équipe de recherche autonome radicale décentralisée »), un groupe informel d’enquêteurs autodidactes pro-fuite de laboratoire ; nul pour les scientifiques qui défendent la thèse d’un saut zoonotique (une maladie qui peut être transmise de l’animal aux humains) mi-novembre au marché.

Le visage britannique du confinement à Wuhan

Le nom de Connor Reed apparaît pour la première fois le 3 février 2020 dans le tabloïd The Sun. Il est présenté comme un « enseignant de 25 ans, à qui les docteurs à Wuhan ont diagnostiqué le coronavirus il y a deux mois ». L’article relate que ce natif du nord du Pays de Galles a attrapé le virus à l’automne, a cru mourir, et a bu du grog jusqu’à ce que le mal passe.

En France, il devient aussitôt l’homme qui « affirme s’être soigné grâce à du whisky et du miel », tandis qu’outre-Manche, il est présenté comme « le premier Britannique à avoir contracté le Covid-19 ». Le jeune expatrié aux yeux rieurs, disponible, accessible et souriant, devient l’un des bons clients des médias anglophones, des plus racoleurs aux plus sérieux.

Connor Reed, interviewé par la chaîne de télévision britannique Sky News, depuis son appartement à Wuhan (Chine), le 6 mars 2020.

Le 4 mars, le Mail, un tabloïd conservateur britannique, publie son carnet de maladie, un long récit de deux mois de souffrance et de convalescence. Il détaille avoir été pris d’un rhume le 25 novembre 2019, être allé à l’hôpital pour une radio des poumons le 6 décembre, avoir passé trois semaines épouvantables, et reçu au téléphone un diagnostic positif le 10 janvier 2020. Si l’on se fie à ce document rétrospectif, il s’agirait du plus ancien cas connu de patient atteint du Covid-19 à avoir témoigné.

« Des éléments contradictoires »

Est-il exact ? Connor Reed n’est plus là pour en répondre. De retour au Pays de Galles, il est mort en octobre 2020 d’une overdose lors d’une soirée avec son colocataire. Mais le Britannique a laissé derrière lui de nombreuses interviews et des traces sur les réseaux sociaux.

Le Monde

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Depuis 2021, il est un objet d’investigation, notamment pour le groupe Drastic. Car l’histoire du Gallois, si elle est avérée, prouverait que le virus Sars-CoV-2 circulait peut-être déjà avant les premiers cas au marché aux fruits de mer. Pour d’autres, il s’agit d’un citoyen aux souvenirs confus, voire d’un mythomane.

Certains éléments accréditent sa bonne foi. D’une interview à l’autre, il maintient un récit cohérent : un rhume anodin qui dégénère en toux, en fièvre, puis en pneumonie en deux semaines. Il corrige également à raison certains récits médiatiques inexacts, en signalant qu’il n’a jamais vu de chauves-souris ni de koalas au « marché aux poissons », comme il l’appelle, où il pense avoir attrapé le virus (à moins qu’il ne l’ait attrapé de son chaton, il n’est pas sûr).

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D’autres détails posent davantage souci. A Reuters, il affirme avoir eu le Covid-19 « en décembre », non en novembre. Le Sun parle d’une hospitalisation de deux semaines, lui d’un ou deux jours. Il mentionne aussi des rumeurs « avérées » de couvre-feu fin décembre, alors que le confinement ne sera discuté qu’à partir du 20 janvier.

« C’est un cas difficile, sur lequel on a des éléments contradictoires, admet Gilles Demaneuf, ingénieur français et membre du collectif Drastic, qui a remonté la trace de son école et de certains de ses amis. Parfois, il extrapolait, il y avait des approximations, des déformations dans ses interviews. Mais tout compte fait, il est plus crédible que je ne le pensais au départ. » Il s’agit même d’un témoignage très utile pour Drastic, qui milite pour la thèse d’un virus né en laboratoire, ou en tout cas hors du marché.

La preuve d’une épidémie avant le marché ?

Le Gallois est ainsi cité par le groupe dans un long dossier datant de 2023 sur les « limites des cas officiels à Wuhan en 2019 ». En toile de fond, l’idée que l’épidémie aurait débuté « à partir de septembre », que le marché n’aurait été qu’un « événement superpropagateur », ouvrant la voie à d’autres hypothèses que la zoonose. « Nous avons conclu que le plus probable est qu’il a été contaminé à l’école, même si on ne peut pas être sûr à 100 % », explique au Monde The Engineer2, internaute canadien, lui aussi membre de Drastic, qui prépare une publication sur le sujet.

Mais alors, d’où viendrait le virus ? Sur la base de preuves qu’il reconnaît être « très faibles », The Engineer2 envisage que Connor Reed ait pu être infecté par le Sars-CoV-2 lors d’un campus d’été auquel il a participé en août 2019, en Thaïlande et en Indonésie. Ou alors aux jeux militaires de Wuhan, où des athlètes ont rapporté avoir été malades et où plusieurs de ses collègues ont travaillé comme interprètes. Ou encore par un parent d’élève qui travaille dans un laboratoire P3 animalier de l’hôpital universitaire de Wuhan. Mais pas au marché de Huanan, bien trop distant de son domicile, juge-t-il.

Ces hypothèses impliquent chacune un scénario d’émergence du virus différent, mais posent toutes des problèmes de cohérence. « Si Connor avait eu le Covid, alors il y aurait probablement eu des centaines d’autres cas de Covid en même temps », conteste Peter Miller, étudiant en physique qui a remporté un prix dans le cadre d’un débat sur l’origine du Covid. Et de rappeler qu’avec le taux de réplication du virus, s’il était apparu début novembre, il y aurait eu 256 fois plus de cas en fin d’année. Or les études rétrospectives de sérosurveillance ont montré que sa circulation était quasi nulle à ce moment-là.

Des réserves épistémologiques fortes

Dès lors, comment expliquer le récit de Connor Reed ? Peut-être par une erreur de diagnostic. L’air de Wuhan est vicié par la pollution (235 microgrammes par mètres cubes de particules fines fin 2019, un niveau considéré comme très malsain), et provoque de nombreuses pneumonies. « Il faut dézoomer de ce qui ressemble à une anecdote séduisante, invite le microbiologiste Michael Worobey, auteur d’une étude phare sur les premiers cas au marché. Le poids des maladies respiratoires [à Wuhan] est colossal. » Cette ville de plus de 12 millions d’habitants déplore chaque année plus de trois infections respiratoires en moyenne par personne et 750 000 pneumonies graves.

Autant de cas qui peuvent passer pour le Covid-19 sans en être un. « Il n’y avait pas de confirmation écrite [de diagnostic] à l’époque, pour ne pas laisser de trace, ce qui correspond assez bien à ce que décrit Connor. Or sans une trace écrite, il n’y a pas de preuve », admet Gilles Demaneuf.

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L’expatrié gallois rédige lui-même ses carnets plus de trois mois après les faits allégués, avec le risque d’une mémoire défaillante. « Il y a de fortes chances que ses souvenirs aient été remodelés par les discussions dans les médias sur le sujet », estime le philosophe des sciences Kenny Easwaran. En France, la ministre de la santé de l’époque, Agnès Buzyn, assurait bien avoir découvert l’existence de la maladie le 20 décembre 2019 sur un blog en anglais, alors que les plus anciennes références en ligne datent du 30, dix jours plus tard.

L’incertitude demeure donc, et le témoignage du Gallois, publié dans un journal adepte de sensationnalisme, appelle la prudence. « Quiconque prétend le contraire a soit des idées embrouillées sur ce qui constitue ou non une preuve scientifique forte, soit il fait mousser cette anecdote à dessein, cyniquement », écarte Michael Worobey, qui comme de nombreux défenseurs de la thèse de la zoonose, réprouve les conclusions et les méthodes de Drastic.

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