Après les inondations dans le Pas-de-Calais, le combat d’un chef étoilé pour sauver son restaurant

Elle est charmante, cette Canche qui se jette dans la Manche. Si tranquille qu’à La Madelaine-sous-Montreuil, hameau du Pas-de-Calais, la digue qui longe le fleuve s’était fondue dans la vallée, avec le temps. « Jamais une inondation en trois cents ans », se rassurait Alexandre Gauthier, chef de La Grenouillère, doublement étoilé au Michelin. Il y a un an, le 10 novembre 2023, il a pourtant vécu l’inimaginable dans son restaurant planté en plein marais, à quelques mètres des rives du fleuve.

La pluie battait depuis des jours contre les baies vitrées du bâtiment conçu avec l’architecte Patrick Bouchain, il était à la tâche avec son équipe, dans l’odeur du pain chaud. L’un de ses cuisiniers occupé à sculpter un radis d’hiver, l’autre à effeuiller des oignons grelots, minuscules pièces détachées destinées aux inventions du chef, dressées comme des œuvres d’art dans les assiettes. Dans l’après-midi, un étrange silence a soudain figé les cuisines. La rumeur imperceptible de l’eau qui monte dans une maison. La Canche était sortie de son lit.

Un an après, La Grenouillère reste fermée. Assurance, ­travaux, autorisations, tout prend un temps interminable. Et la pluie a recommencé à tomber dru, en ce nouvel automne. Alexandre Gauthier écoute les grenouilles, qui avaient disparu depuis des années, et surveille la digue rehaussée de ­20 ­centimètres par les services techniques du département. « Ça ne suffira pas. Les marais sont pleins, ils ne pourront pas absorber une nouvelle inondation. »

Champ de bataille

Les images de Valence, en Espagne, submergée le 29 octobre, ont réveillé le traumatisme et ravivé les souvenirs. Ceux de ce jour de novembre 2023, quand, passé la stupeur, les toques avaient volé dans les cuisines : le chef était alors devenu général sur un champ de bataille et la brigade, régiment de soldats. Sauver tout ce qu’on peut, vaisselle, casseroles, meubles, réserves de vin et de farine. Courir chercher du sable et des sacs, remplir, ficeler, monter des barricades. Mais l’eau s’est infiltrée par les sols et les tuyaux, noire de boue, jusqu’à lécher la longue table d’hôte. Il fallait des cuissardes pour passer dans la cour, la salle était comme un lac. « C’est presque beau », s’était extasié Alexandre Gauthier sur Instagram, annonçant une réouverture imminente : « Notre maison a pris l’eau mais pas nous ! »

C’était compter sans le jardin noyé, les chambres d’hôte ravagées, les canalisations explosées, les toilettes saccagées, les pianos et les chambres froides hors d’usage. Et la rouille, qui a attaqué la structure métallique dès le premier jour. Le chef souriait bravement, seul dans la tempête. « Les pompiers étaient débordés, les politiques dépassés, les entreprises de travaux aux abonnés absents », raconte-t-il.

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