De l’Inde dirigée par le nationaliste hindou Narendra Modi, à Israël, dont le gouvernement compte des ministres issus du sionisme religieux, en passant par l’Algérie, où des groupes rebelles islamistes ont précipité le pays dans la guerre civile durant la « décennie noire » (1992-2002) : divers mouvements politico-religieux ont acquis un poids considérable dans des pays pourtant historiquement laïques.
Dans Le Paradoxe des libérations nationales (PUF, 240 pages, 18 euros), le philosophe américain Michael Walzer étudie les trajectoires de ces trois Etats – l’Inde, l’Algérie et Israël – pour comprendre comment, à la suite d’une indépendance obtenue par une gauche émancipatrice, une contre-révolution religieuse – qui s’incarne dans des idéologies différentes selon les contextes – parvient à s’emparer des esprits et-ou du pouvoir.
Dans les trois pays que vous avez étudiés, vous décrivez des mouvements de libération nationale laïques, et même opposés aux traditions religieuses. Que peut-on dire d’eux ?
Dans ces trois pays, je qualifie de « libérationnistes » certains mouvements qui ont permis l’accès à l’indépendance, car ils avaient une double ambition. Ils entendaient bien sûr libérer leur peuple d’un colonisateur – britannique pour l’Inde et Israël (dans le contexte certes particulier précédant la naissance de l’Etat hébreu), français pour l’Algérie ; et ils voulaient en outre l’affranchir d’une mentalité jugée rétrograde, pour le faire aller vers un horizon de progrès.
Aussi les libérationnistes du Parti du Congrès en Inde, du Front de libération nationale [FLN] en Algérie ou du parti sioniste de gauche qu’était le Mapaï en Israël reprochaient-ils deux choses aux traditions religieuses. Non seulement, elles avaient habitué leur peuple à la passivité devant le colonisateur, mais elles étaient aussi un frein à son émancipation une fois l’indépendance acquise.
Si on retrouve de telles idées chez Jawaharlal Nehru [1889-1964, premier chef de gouvernement indien] – mais pas chez Gandhi, qui est une exception –, Frantz Fanon [1925-1961, essayiste français impliqué dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie] ou Ben Bella [1916-2012, premier président de la République algérienne], c’est peut-être chez les fondateurs d’Israël, par exemple Ben Gourion [1886-1973], qu’elles sont le plus puissamment exprimées.
Pour les sionistes historiques, le judaïsme est la religion de l’exil. Dans leur esprit, les rabbins ont, pendant des siècles, enseigné aux juifs une soumission résignée. La création de l’Etat d’Israël, un Etat laïque, devait donc, selon eux, permettre de rompre avec cette humiliante docilité en créant un « juif nouveau », maître de son destin. A mon sens, le sionisme s’est ainsi construit contre le judaïsme.
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