Meilleures Actions
Histoires Web samedi, novembre 16
Bulletin

Un cordon de tapis multicolores parsemés de fleurs roses et de babouches jaunes borde le plateau du Grand Théâtre de Genève. Plaisir des yeux, cette rivière de laine, de pétales et de cuir constitue une frontière fragile entre la scène et la salle, la fiction et la réalité. Elle conserve dans ses plis enchevêtrés des paysages et des sensations d’un voyage au Maroc qui ne demandent qu’à revivre devant nous entre cérémonie du thé à la menthe et sacrifice du mouton.

Lire la critique (2016) : Article réservé à nos abonnés Sidi Larbi Cherkaoui joue double à La Villette

Cette installation simplement somptueuse conclut le spectacle Ihsane, créé le 13 novembre par le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève. Auprès des 22 interprètes de la compagnie suisse qu’il dirige depuis 2022, il a invité quatre danseurs de sa troupe Eastman, basée à Anvers (Belgique), ainsi qu’un orchestre live. Sous la direction du compositeur tunisien et joueur de viole d’amour Jasser Haj Youssef, la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage et le chanteur marocain Mohammed El Arabi-Serghini, accompagnés par un joueur de oud, un pianiste et un percussionniste, enveloppent d’une membrane sonore magique le roulis incessant d’Ihsane.

Le titre de cette pièce désigne en arabe « un idéal de bonté, de gentillesse et de bienveillance ». Il est également, comme on l’apprend dans le programme, le prénom d’un jeune homme, homosexuel d’origine marocaine, tabassé à mort, à l’âge de 32 ans, à Liège (Belgique), en 2012. Son calvaire est évoqué en creux par Cherkaoui. Depuis ses débuts, dans les années 2000, cet artiste « queer et arabe », tel qu’il se définit aujourd’hui, a toujours revendiqué son identité. Après Vlaemsch (« chez moi », en flamand), premier volet d’un diptyque démarré en 2022 et dédié à sa mère flamande, celui qui a été élevé entre la Bible et le Coran a conçu Ihsane. Il part sur les traces de son père marocain, travailleur immigré en Belgique, mort en 1995. Vingt-huit ans après, en 2023, Cherkaoui est allé à Tanger pour retrouver sans succès la tombe de son père, mais il s’est recueilli sur celle de son grand-père.

Saveur juvénile

Le décor d’Ihsane semble droit sorti de Tanger ou de Marrakech. Une façade de bâtiment se dresse et l’on se téléporte dans la médina. Dentelle de pierre et zellige, une mosaïque traditionnelle typique de l’architecture marocaine, ornent ce tombeau poétique qu’est Ihsane. Solaire et flamboyante envolée de tableaux enchâssés les uns dans les autres, il se métamorphose au gré de glissements de panneaux mobiles et de vidéos. Des scènes d’ensemble se nouent, laissent échapper des solos et des duos pour mieux rallier le groupe à l’unisson. L’alignement géométrique s’évapore dans une ronde serpentine ; la clarté segmentée des gestes chavire dans le fouillis d’une valse.

Il vous reste 46.94% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Share.
© 2024 Mahalsa France. Tous droits réservés.