En cette veille d’élection présidentielle américaine, Ava DuVernay est à Genève. Invitée d’honneur de la trentième édition du GIFF (Geneva International Film Festival), elle y a présenté plusieurs de ses films et séries, dont le dernier, Origin, qui a connu sa première mondiale à la Mostra de Venise en 2023 mais demeure inédit en France – comme ses deux premiers longs-métrages. Désormais affranchie de la tutelle des studios, la réalisatrice de Selma (2014) et de la série Dans leur regard (When They See Us, disponible sur Netflix) a produit elle-même Origin, film d’une folle ambition. Cette fiction est adaptée de l’essai d’Isabel Wilkerson, Caste, best-seller publié aux Etats-Unis en 2020, inédit en France. L’autrice y examine l’histoire du racisme aux Etats-Unis à la lumière noire du système de castes indien et de l’édifice pseudo-juridique mis en place par les nazis en Allemagne. Ava DuVernay l’assure, Origin devrait être disponible en France sur une plateforme de streaming dans les mois qui viennent.
Comment vous sentez-vous à la veille du scrutin ?
Très anxieuse, mais aussi pleine d’espoir. C’est un moment épuisant pour les nerfs. Tant de gens ont travaillé dur pour d’abord faire passer l’idée qu’il est important de voter, ensuite qu’il y a un contraste saisissant entre les candidats. On verra. Je suis nerveuse.
Lors de la rencontre avec le public organisée hier [dimanche 3 novembre] par le festival, vous avez expliqué que vous teniez à ce qu’« Origin » soit terminé et sorte avant les élections, parce qu’un tel film ne pourrait exister après le scrutin…
Nous avons déjà des exemples. Nous avons vu ce qui s’est passé avec The Apprentice [le film d’Ali Abbasi sur la jeunesse de Donald Trump, qui a eu du mal à trouver un distributeur malgré son succès lors de sa projection à Cannes], ou certains films qui veulent présenter le point de vue palestinien. On a aussi vu que certains médias ont restreint leur couverture du cinéma en fonction du sujet du film. Si Trump est élu, tout ça va s’aggraver, les voix des artistes seront fragilisées, et les conditions dans lesquelles nous travaillons et nous touchons le public seront beaucoup plus difficiles.
Est-ce que l’analyse que vous présentez dans « Origin » s’applique à la situation électorale ?
L’idée de caste est assez simple à comprendre. Elle repose sur une hiérarchie entre êtres humains, sur la manière dont nous décidons qui est au sommet de la chaîne alimentaire. Les immigrés, les femmes, les Noirs, les queers jouissent d’une moindre considération. Et nous avons un candidat qui a très clairement dit qu’il a l’intention de solidifier, de codifier ces hiérarchies de castes, d’en faire des textes de loi qui reposeraient sur l’idée que certains citoyens ont plus de valeur que d’autres, ce qui est l’opposé de la promesse américaine. Les Etats-Unis n’ont jamais accompli leur promesse originelle, mais elle est toujours là. Ce candidat, Trump, dit qu’il n’a rien à faire de cette promesse, qu’il ne s’intéresse qu’à lui-même.
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