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Histoires Web dimanche, octobre 27
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ARTE – DIMANCHE 27 OCTOBRE À 17 H 45 – DOCUMENTAIRE

Passé par l’école du Fresnoy, qui forme des artistes contemporains à l’audiovisuel et à l’image numérique, Jacques Lœuille ne déteste pas animer les tableaux qu’il filme. Cela peut être agaçant, ou parlant, selon les points de vue. Mais, dans le cas de ce sujet tourné à l’occasion de la grande exposition que le Musée du Louvre consacre aux représentations de la folie dans l’art depuis le Moyen Age, la chose est justifiée : Le Temps des fous est un documentaire érudit, mais pas très raisonnable, et c’est tant mieux.

Lire la critique de l’exposition : Article réservé à nos abonnés Au Musée du Louvre, l’art de représenter la démence

N’étaient-ils pas fous eux-mêmes ces charlatans qui trépanaient leurs patients pour extraire de leur crâne ce qu’ils pensaient être la « pierre de folie » ? Et que dire de ce boulanger qui décapitait les malades, estimant que cuire leur tête dans son four allait améliorer leur état ? Fictions de peintres – le premier cas fut toutefois réellement pratiqué par des barbiers, semble-t-il – auxquelles le documentaire ajoute bien d’autres cas de démence, la première étant, au Moyen Age, de ne pas croire en Dieu. Ou d’y croire trop, devenir « fou de Dieu » comme le fut saint François d’Assise. Ou encore de ne pas suivre le dogme catholique romain, comme le firent les hérétiques et les luthériens, fous notoires…

On étudiera aussi le cas de l’amour fou, celui de Tristan et Iseut, drogués par un philtre, exemple à ne pas suivre si on veut se prémunir contre la passion et éviter de cocufier le roi Marc (de Cornouaille, époux d’Iseut), lequel n’apprécie guère, ou les portraits des fous de cour, le simple fait qu’ils aient été peints témoignant de l’importance qu’ils eurent : voilà du côté des puissants.

Pour le peuple, il y a la fête des fous, qui inverse les valeurs, ou le carnaval, qui précède le carême et, chez Bruegel notamment, le défie en tournoi. Mais, là aussi, la morale de l’Eglise prévaut et, dans le calendrier, à la fête et aux bombances succède la repentance, aux saucisses et aux bonnes vinées le poisson maigre et les tristes brouets…

Magie de la caméra

Les fous sont innombrables et surtout concentrés dans la vallée du Rhin, le « cluster de cette épidémie », dit le commentaire, qui en désigne le vecteur : l’imprimerie, invention nouvelle échappée du laboratoire de Gutenberg. C’est grâce à elle que La Nef des fous (1494), de Sébastien Brant, va devenir, au XVIe siècle, le livre le plus lu après la Bible. Ou encore l’Eloge de la folie (1511), d’Erasme, que le film montre – ce que le Louvre n’a pas pu faire – dans sa version illustrée par les frères Holbein.

Magie de la caméra également, que le musée ne peut réaliser, qui permet de réunir les fragments du polyptyque de La Nef des fous (vers 1500), de Jérôme Bosch, où l’on constate que le tableau aujourd’hui découpé surplombait une allégorie de la débauche et du plaisir et que son volet opposé montrait les derniers instants de l’avare.

Mais tous ces fous, d’où viennent-ils ? Ils naissent dans des œufs, répond Jérôme Bosch. D’ailleurs ne dit-on pas qu’Erasme a pondu les œufs de la Réforme et que Luther les a couvés ? On le devine : l’Eglise, longtemps favorable à cette soupape de sûreté qu’étaient les carnavals et autres fêtes, se doit de reprendre la main. L’humour, l’ironie et la franchise du fou deviennent intolérables à la Contre-Réforme, et doivent être éradiqués. Lorsqu’il réapparaîtra dans l’art, ce n’est plus sous la forme du bouffon, mais sous celle de l’aliéné, promis à l’asile. Ou de l’artiste, mais c’est une autre histoire.

Le Temps des fous, documentaire de Jacques Lœuille (Fr., 2024, 52 min). Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 26 novembre.

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