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Le cerveau ne représente que 2 % de notre masse corporelle mais il est vorace : il consomme à lui seul près de 20 % de notre énergie. Et ce sont 100 milliards de cellules nerveuses, les neurones, qui l’utilisent. Grâce à un réseau câblé très précis, elles communiquent entre elles par des signaux électriques qui permettent au corps de fonctionner, de bouger…

Mais comment un organe si petit réussit-il de telles prouesses, et quels enseignements peut-on en tirer en termes d’utilisation de l’énergie ? Pour y répondre, rencontre avec Sébastien Wolf, à la fois chercheur à l’Institut de biologie de l’Ecole normale supérieure et musicien du quintette parisien Feu ! Chatterton.

Un épisode de la saison 4 de « La fabrique du savoir », un podcast du Monde réalisé en partenariat avec La Nuit de l’énergie 2024, organisée par l’Ecole normale supérieure de Paris.

Le premier lien établi entre le concept d’énergie physique et le cerveau, c’est que cet organe en consomme beaucoup !

Un cinquième de l’énergie du corps humain ! Et une étude menée − un peu tristement − au début du XXe siècle a démontré que la masse du cerveau ne diminuait pas chez des jeunes qui ne mangeaient pas à leur faim. Cela veut dire que notre organisme ne sacrifiera jamais le cerveau et lui fournira toujours de l’énergie, aux dépens d’autres organes, comme les muscles par exemple. A l’université d’Edimbourg, la professeure en neurosciences Nathalie Rochefort a conduit une autre étude sur cette question : si on prive des animaux de nourriture, seront-ils toujours capables de produire des comportements complexes ? Elle a découvert que oui. Le cerveau est donc un organe préférentiellement protégé par les organismes.

Concrètement, où le cerveau va-t-il puiser toute l’énergie dont il a besoin ?

Dans le glucose. La molécule ATP [adénosine-triphosphate, produite par l’oxydation du glucose] est la molécule élémentaire de l’énergie dans l’organisme.

Pour comprendre le fonctionnement du cerveau, on parle de « paysages d’énergie ». De quoi s’agit-il ?

Les « paysages d’énergie » sont des théories qui viennent de la physique statistique. Les gens de la cybernétique, de l’intelligence artificielle ont développé des réseaux qui peuvent être comparables au réseau qu’est notre cerveau : ils font des calculs très demandeurs en énergie, beaucoup plus d’ailleurs que le cerveau pour accomplir la même tâche. A l’Ecole normale supérieure, une équipe de Rémi Monasson et de Simona Cocco essaie d’établir un lien entre les calculs fondamentaux faits par un neurone et les mêmes calculs faits par une machine. Ils tentent même d’aller plus loin en s’intéressant à la consommation énergétique de ces machines, qui sont potentiellement néfastes pour l’environnement. Il y a un enjeu d’un point de vue industriel, au-delà de l’intérêt de mieux comprendre le cerveau, son métabolisme.

Comment fonctionnent ces fameux paysages d’énergie ?

Sur le plan neuroscientifique, on considère que le cerveau fonctionne comme un système physique et que l’énergie qui y circule représente un paysage. C’est un paysage multidimensionnel. Si on laisse notre pensée s’y balader, elle va passer « de bassin d’attraction en bassin d’attraction ». Comme si notre pensée franchissait des montagnes et qu’au niveau des vallées, se situent nos souvenirs, notre mémoire. Un travail de l’équipe de Michaël Zugaro au Collège de France a montré, en enregistrant l’activité cérébrale d’une souris, que pendant le sommeil le cerveau va naturellement revivre des souvenirs en retombant dans ces bassins d’attraction.

L’activité cérébrale du cerveau est donc visible grâce à ces paysages d’énergie. Mais concrètement, comment se forment-ils ?

Quand on apprend à associer l’objet « verre » et le mot « verre », on peut imaginer la création d’un bassin dans le paysage, qui correspondrait à ces deux événements sensoriels. Dès lors, dès que je vais entendre le mot « verre », l’image de l’objet va apparaître. Parce que pour entendre le mot, de manière schématique, le système devra atteindre ce bassin et, spontanément, revivre cette expérience d’association. En fait, les paysages d’énergie permettent d’apprendre, de mémoriser.

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Le rapprochement entre une image et un son s’opère donc physiquement dans le cerveau ?

Oui, ça se fait vraiment. C’est-à-dire que si j’active deux neurones en même temps au moment de l’apprentissage, je peux voir que si j’en allume un seul par la suite, il y a une grande probabilité que l’autre s’allume aussi, beaucoup plus qu’au début. L’apprentissage change les connexions et donc créer des bassins d’attraction.

Par rapport aux autres organes, le cerveau reste-t-il mystérieux ?

C’est un peu caricatural de dire ça, mais oui, c’est une des dernières frontières. Pour l’instant, les neurosciences fondamentales en sont encore à essayer de comprendre des choses très simples par rapport à ce que font les psychanalystes ou les philosophes. Je pense que la psychologie en général, la philosophie et les neurosciences peuvent se croiser et poser le même type de questions ensemble. Cette jonction entre ces disciplines, peut-être, permettra le développement et l’avancée des neurosciences.

« La fabrique du savoir » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez et Marion Dupont, pour Le Monde. Réalisation : Diane Jean. Mixage : Eyeshot. Article : Caroline Andrieu. Identité graphique : Thomas Steffen. Partenariat : Sonia Jouneau, Cécile Juricic. Partenaire : Ecole normale supérieure.

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