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« C’est sûrement compatible. » Voilà ce qu’a répondu Raymond Janot, le 6 août 1958, en pleine rédaction de la future Constitution, à la question de savoir si son article 15, qui fait du président de la République le chef des armées, et son article 21, qui rend le premier ministre responsable de la défense nationale, étaient compatibles entre eux. A l’époque, nul domaine réservé n’est envisagé.

Le débat entrouvert par l’adverbe « sûrement » a été relancé par Marine Le Pen durant la campagne législative qui a suivi la dissolution de l’Assemblée du 9 juin 2024. Dans Le Télégramme, elle avait estimé que « chef des armées, pour le président, c’est un titre honorifique puisque c’est le premier ministre qui tient les cordons de la bourse ». Quelques heures après, elle s’était dédite sur le réseau social X : « Sans remettre en cause le domaine réservé du président de la République, en matière d’envoi de troupes à l’étranger, le premier ministre a, par le contrôle budgétaire, le moyen de s’y opposer. »

Ce rétropédalage s’explique sans doute par l’émoi suscité par le terme « honorifique ». Il en dit long, d’ailleurs, sur le caractère performatif de la formule : pour certains, le président est le chef des armées, il est donc celui qui décide. Il n’y aurait pas matière à débat. Mais pour le constitutionnaliste, la controverse est plus complexe qu’elle n’y paraît. La précaution de Raymond Janot invite à la prudence.

Les deux rôles ne peuvent se passer de l’autre

La configuration inédite à l’Assemblée nationale implique en effet une possible reconfiguration dans la relation entre le premier ministre et le chef de l’Etat. Michel Barnier a fait savoir qu’il n’existait pas de domaines réservés au président de la République, mais des domaines partagés avec lui – rappelant une formule utilisée lors de la dernière cohabitation. La nomination au sein de son cabinet d’Arnaud Danjean (conseiller spécial) et de François Cornut-Gentille (pilote du pôle défense), deux personnes investies sur les questions de défense, accrédite la thèse selon laquelle Matignon prendra « sa part en matière de défense et de politique internationale ». Mais nulle rupture à prévoir non plus, comme en atteste la reconduction de Sébastien Lecornu – proche du président Macron – au ministère des armées, un rouage essentiel pour préparer et mettre en œuvre la politique de défense.

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Dans ce cadre, entre le premier ministre et le chef de l’Etat, qui décide en matière militaire ? La réponse n’a rien d’évident, car chacun dispose d’attributions constitutionnelles, ce qui pose un problème d’interprétation. Etre le chef des armées renvoie à la qualité selon laquelle le militaire est soumis au pouvoir civil, mais, pour le reste, le titre est ambigu. Il apporte même de la confusion lorsqu’il est mis en regard de l’article 20 de la Constitution, qui précise que le gouvernement, dirigé par le premier ministre, « dispose de la force armée ». Comment le président pourrait-il décider de l’engager, s’il n’en dispose point ?

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