Découvrir une nouvelle création du marionnettiste Johanny Bert est toujours un saut dans l’inconnu, une expérience à nulle autre pareille, tant le metteur en scène aime à renouveler sans cesse ses formes d’expression et à en élargir la palette vers d’autres disciplines. Pour Le Spleen de l’ange, créé le 5 octobre à La Cour des Trois Coquins-Scène vivante, à Clermont-Ferrand, il renoue certes avec sa passion première, la marionnette, mais explore aussi d’autres registres : la chanson, la musique, la magie.
Inspiré par Wim Wenders et son film Les Ailes du désir (1987), le spectacle s’ouvre sur un extrait d’un entretien accordé par le cinéaste allemand au critique Serge Daney (1944-1992) dans son émission « Microfilms », sur France Culture, en 1987. Le réalisateur y explique sa passion pour les anges, qui remonte à sa plus tendre enfance, et déclare : « C’était pour pouvoir montrer les humains que j’ai inventé les anges. » Cette figure de l’ange est omniprésente tout au long de la représentation, d’abord sous la forme d’une marionnette suspendue dans les airs, puis sous les traits de Johanny Bert en personne.
Comme souvent dans ses créations, on oscille entre des tableaux oniriques, la plupart du temps magnifiques sur le plan visuel et esthétique (notamment ceux où l’ange se métamorphose progressivement en être humain), et des scènes à la limite du Grand-Guignol, sauvées de l’exagération et du ridicule par un sens de l’humour à toute épreuve. Ainsi, les multiples tentatives (toutes ratées, bien sûr) de l’ange pour se suicider et mettre un terme à cette immortalité qu’il ne supporte plus pourraient finir par lasser le public, si elles n’étaient du plus haut comique (de répétition).
Du côté de la comédie musicale
De même, les nombreux passages chantés qui tirent Le Spleen de l’ange du côté de la comédie musicale – dimension renforcée par la présence sur scène de trois musiciens, Marion Lhoutellier, Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger – peuvent aussi bien séduire certains spectateurs charmés par la poésie des chansons originales, composées notamment par Brigitte Fontaine, Laurent Madiot ou Prunella Rivière, qu’en exaspérer d’autres, insensibles aux mélodies interprétées par Johanny Bert (qui confirme ici des talents de chanteur déjà dévoilés dans un précédent spectacle, Hen, en 2019) et son trio de musiciens.
Les rapports de manipulation, sur lesquels repose tout l’art de la marionnette, sont ici mis en valeur par le recours à certaines techniques illusionnistes de la « magie nouvelle ». Le personnage de l’ange est actionné dans l’ombre par Klore Desbenoit, avant de se transformer, par un subtil tour de passe-passe, en un être vivant incarné par le comédien et chanteur Johanny Bert, qui finit lui-même, sur scène, par tirer les fils d’un pantin à son image. Cette sorte de mise en abyme marionnettique constitue l’une des plus belles idées de ce Spleen de l’ange, qui confirme le talent de ce prestidigitateur hors pair, expert dans l’art de manier les choses, les genres (humains et artistiques) et les émotions.
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