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Histoires Web lundi, octobre 21
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Aux avant-postes du débat sur les usages de l’intelligence artificielle (IA) se trouvent les traductrices et les traducteurs. Non seulement parce qu’ils sont sensibles à la langue et qu’ils se sentent concernés à cet égard, mais parce que leur profession, en particulier pour celles et ceux qui traduisent de la littérature, a longtemps été désignée comme un horizon inatteignable pour l’automatisation, alors que le spectacle médusant des résultats produits par les algorithmes fragilise aujourd’hui leur assise économique.

Quelques voix universitaires se sont récemment exprimées pour témoigner de leur optimisme quant à l’avenir des métiers de la traduction, moyennant quelques adaptations à l’irruption de l’IA dans le secteur : un plaidoyer pro domo pour lutter contre la désertion annoncée des formations universitaires à la traduction, dans un contexte où l’avenir de la profession inquiète étudiants et familles. Avec pour maître mot l’adaptation, impératif catégorique ici teinté de darwinisme social.

En tant que professionnel de la traduction également investi dans le champ de la formation (professionnalisante et continue), il me paraît utile de réinterroger les finalités d’une formation à la traduction. Plutôt que de préparer, au nom d’un prétendu pragmatisme, à ces métiers tels qu’ils sont redéfinis et précarisés par le marché, il me paraît important de réaffirmer :

primo, que la traduction littéraire est un facteur d’émancipation, en ceci qu’elle apprend à celui qui l’exerce le maniement de la langue ; qu’elle est un instrument puissant de formation de l’esprit, dont tous les apprenants, quelle que soit la profession qu’ils exerceront, peuvent tirer bénéfice ;

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secundo, que ce bénéfice est largement amputé lorsque l’activité de traduction est privée de sa dimension créatrice, qu’elle est assignée à une tâche de surveillance d’une norme décidée par le critère du plus probable ;

tertio, que les statistiques qui fondent les calculs des algorithmes tendent à réduire le possible au probable, et que cela est en contradiction avec la singularité de la langue, qui est une condition de toute pensée véritable.

Le réel et son simulacre

Les traducteurs et les traductrices littéraires manient les langues. Cela leur confère une responsabilité sociale importante, car l’éthique de l’usage d’une langue ne saurait se cantonner à corriger les biais sexistes et racistes des algorithmes. D’une façon très majoritaire, ils et elles s’opposent à l’utilisation de leurs textes comme combustible pour grand modèle de langage. Loin d’être opposés par principe à l’innovation technologique, ils savent cependant la différence ontologique entre une langue et un semblant de langue, entre une subjectivité nourrie par l’expérience humaine et un écrit, aussi correct soit-il, mais dépourvu de toute responsabilité. Partager ce savoir, c’est permettre aux lecteurs de maintenir une distinction entre le réel et son simulacre.

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