Meilleures Actions
Histoires Web dimanche, octobre 20
Bulletin
Alain-Dominique Perrin, Marie-Claude Beaud et César, devant l’« Hommage à Eiffel », œuvre en cours de réalisation de ce dernier, à la Fondation Cartier, à Jouy-en-Josas (Yvelines), en 1984 .

« Une dinguerie », « un truc de cinglé ». Quand il se remémore les débuts de la Fondation Cartier, qui fête cette année ses 40 ans, Alain-Dominique Perrin, son créateur, ne feint pas la modestie. « Ce qu’on a fait était unique », répète crânement l’actuel coprésident du comité stratégique du groupe Richemont, propriétaire du joaillier de la place Vendôme. A 82 ans, l’homme à la barbe entretenue a toujours son franc-parler et le tutoiement facile. Entré chez Cartier en 1969, il en a gravi les échelons, inventant notamment les Must, ces montres qui ont démocratisé la marque.

Sous son égide, la griffe de luxe a été la première à créer une fondation d’entreprise dédiée à l’art contemporain, dix-neuf ans avant Louis Vuitton à Paris, neuf ans avant Prada à Milan. La première à faire valser les disciplines en exposant aussi bien de l’art que des autos, du design que des arbres. La première entreprise aussi à faire de l’art un puissant vecteur de communication : sans dépenser un sou en publicité, le bijoutier a changé son image vieillotte grâce aux retombées médiatiques de ses expositions.

Cet ovni émerge à un moment de bascule, dans une décennie fric et frime qui redessine les contours de l’art. Les défilés de mode ressemblent à du pur divertissement, les vernissages se muent en spectacles. Alain-Dominique Perrin n’a rien oublié des jeux de laser verts qui ont électrisé la nuit lors de l’inauguration de la Fondation Cartier, le 20 octobre 1984, à Jouy-en-Josas (Yvelines) – « une mise en scène à tout péter », lâche-t-il avec sa gouaille de camelot. « Un moment joyeux et sympathique », corrobore Jack Lang, alors ministre de la culture, qui ce soir-là avait troqué son habituel col Mao pour une cravate rouge.

César était de la fête avec une grande exposition de ses Fers. Le matin même, le sculpteur marseillais avait bougonné en découvrant qu’il partageait la vedette avec deux tout jeunes artistes que personne ne connaissait, l’Anglo-Canadienne Lisa Milroy, 25 ans, et le Britannique Julian Opie, 26 ans. Ce dernier, dont les personnages pop et stylisés ont depuis conquis le monde, n’avait jamais exposé à l’étranger : « A l’époque, la norme c’était d’être montré dans un centre d’art, une galerie, un musée ou alors quelque chose de très ancré, avec peu de moyens. Exposer chez un joaillier, c’était inhabituel. »

La politique culturelle, pré carré de l’Etat

La Fondation Cartier surgit dans le paysage artistique tel un chien dans un jeu de quilles. L’art contemporain, à l’époque, est affaire d’initiés, de chapelles et de dogmes. Une affaire d’Etat aussi, qui se pose alors en unique moteur de la politique culturelle. Les fondations sont rares en France, et l’administration, qui voit d’un mauvais œil toute incursion du privé dans son pré carré, fait tout pour en limiter le nombre et en circonscrire la portée.

Il vous reste 83.83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Share.
© 2024 Mahalsa France. Tous droits réservés.