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Pour se déplacer, se chauffer, pour surfer sur Internet, cuisiner, s’éclairer… nous consommons au quotidien beaucoup d’énergie. Mais, à l’heure du changement climatique, comment la produire sans affecter notre planète ? Et si l’eau des fleuves et des océans fournissait la solution idéale ? Dans ce troisième épisode spécial « énergie » de « La fabrique du savoir », un podcast du Monde produit en partenariat avec La Nuit de l’énergie 2024, organisée par l’Ecole normale supérieure, rencontre avec Lydéric Bocquet, directeur de recherche au CNRS, professeur attaché à l’Ecole normale supérieure dans l’équipe Micromégas au laboratoire de physique, et membre de l’Académie des sciences.

Il est facile de consommer de l’énergie. Mais pour la produire, c’est beaucoup plus compliqué. Pour le comprendre, vous citez l’exemple d’un homme face à un grille-pain…

Il y a une vidéo assez marrante sur Youtube qui montre notre gourmandise dans la consommation d’énergie. On y voit un toasteur alimenté par un vélo, conduit par un champion olympique. Ce champion doit produire un effort considérable juste pour faire griller un tout petit peu la tartine. Faire griller une tartine, c’est ce qu’on fait tous les jours. Pourtant, on voit là qu’il faut une énergie considérable pour ça, mais on ne s’en rend pas compte au quotidien.

Entre 1973 et 2020, à la suite de la mise en place du programme nucléaire, la production française d’énergie primaire a été multipliée par trois. C’est énorme…

Oui, et globalement, dans le monde, la consommation d’énergie augmente en permanence dans la vie de tous les jours. Chaque Français utilise un peu plus d’une centaine de kilowatt-heure. Et aujourd’hui, le développement de l’Internet et de l’intelligence artificielle requiert aussi énormément d’énergie. Il va donc falloir apporter de nouvelles sources. Actuellement, nous avons un mix énergétique : 40 % de nucléaire, environ autant d’énergies fossiles, puis les énergies renouvelables (15 %).

Aujourd’hui, il existe une source d’énergie naturelle au réservoir gigantesque et pourtant peu exploitée : l’énergie osmotique. De quoi s’agit-il ?

L’énergie osmotique consiste à utiliser les différences de salinité entre les eaux. Cette différence, liée à la présence d’ions, crée de l’énergie lorsque les eaux se rencontrent. Pour la récupérer, on peut mettre une membrane qui laisse passer l’eau, mais pas le sel. Face à cette difficulté, l’eau va produire un mouvement qu’on appelle l’osmose. Et ce mouvement peut faire tourner une turbine. Au niveau mondial, il s’agit d’utiliser tous les eaux douces qui se jettent dans la mer et, chaque fois, d’en extraire l’énergie. Cette énergie est permanente et pourvu que l’on utilise des matériaux biosourcés, elle est totalement verte. On dit même plutôt « bleue », entièrement décarbonée.

Cette énergie osmotique naturelle représenterait l’équivalent de mille réacteurs nucléaires alors que, actuellement, on en a 440 sur la surface de la Terre. Pourtant elle n’est pas exploitée pour l’instant, faute de technologies efficaces pour la recueillir. Pour améliorer ces technologies, vous travaillez sur la mécanique moléculaire des fluides. Qu’est-ce que c’est ?

C’est l’idée d’aller regarder les écoulements des fluides dans les tuyaux les plus petits qu’on puisse imaginer. Un peu comme un plombier de l’infiniment petit ! Car la nature fait un usage considérable de cette mécanique moléculaire des fluides. Dans notre corps, dans les plantes, il y a une orfèvrerie assez merveilleuse de canaux à l’échelle de quelques molécules. Leurs propriétés défient l’intelligence. Il s’agit donc de comprendre ces propriétés et de voir comment les exploiter à l’échelle humaine.

Vous prenez l’exemple très concret des reins et du cerveau…

Par jour, nos reins filtrent dans notre corps environ 200 litres de sang, essentiellement de l’eau et du sel en plus des globules rouges, et cela avec une économie d’énergie hallucinante. Le cerveau est aussi très efficace : dans les neurones, il y a des ions (sodium, calcium, etc.), qui passent de l’intérieur vers l’extérieur, qui propagent des signaux, ce qui conduit à nos pensées. Ce lien entre une mécanique assez élémentaire de déplacement et des pensées créatives est fascinant.

En observant cet infiniment petit, on découvre des phénomènes étonnants. Lesquels ?

La façon dont les fluides s’écoulent à l’échelle nanométrique déroge aux propriétés usuelles. Par exemple, l’eau dans des nanotubes de carbone s’écoule quasiment sans frotter. C’est un phénomène quantique. C’est très intéressant et il serait intéressant de l’exploiter. Mais reste le problème du changement d’échelle. Il faut identifier des matériaux, des structures de membranes encore inexplorées, qui reproduisent ces propriétés.

Pour cela, j’ai s dont le but est d’opérer le passage de la recherche en laboratoire à l’industrialisation des résultats. On a mené une exploration tous azimuts pendant des années, et puis un jour, miracle, voilà : il y a un matériau qui coche toutes les cases. Les recherches sont encore en cours pour développer des nouvelles technologies, pour le dessalement notamment, mais il y a déjà une usine qui teste cette production d’énergie grandeur nature, sur l’écluse de Barcarin, où il y a d’un côté l’eau du Rhône et de l’autre la Méditerranée.

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Qu’est-ce qui vous a poussé à vous passionner pour ces recherches ?

Un titre en une du journal Libération en 2005 : « Le pétrole, peut-on s’en passer ? » Mon fils, qui avait une dizaine d’années à l’époque, m’avait demandé : « Toi papa, qu’est-ce que tu fais pour répondre à ça ? ». C’est une question qui m’a frappé. En effet, dans la recherche, on essaye de développer des concepts, mais, finalement, je ne faisais rien pour l’aider lui, directement, en tant qu’enfant. Huit ans plus tard, le jour où j’ai vu qu’il y avait une possibilité de transférer ce que je savais vers quelque chose d’utile, je me suis dit qu’il fallait fonder cette start-up pour créer un vrai générateur osmotique.

Aujourd’hui, de quel futur de l’énergie rêvez-vous ?

Mon futur rêvé, c’est évidemment des centrales osmotiques un peu partout dans le monde. Mais il va falloir aussi dépenser moins d’énergie : l’intelligence artificielle coûte excessivement cher, il faut se limiter.

« La fabrique du savoir » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez et Marion Dupont, pour Le Monde. Réalisation : Diane Jean. Mixage : Eyeshot. Article : Caroline Andrieu. Identité graphique : Thomas Steffen. Partenariat : Sonia Jouneau, Cécile Juricic. Partenaire : Ecole normale supérieure.

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