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Histoires Web mercredi, décembre 25
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Dans les milieux où le travail est parfois difficilement quantifiable (oui, un créatif qui rêvasse sur un canapé est peut-être en train de bosser), il est devenu commun de porter… un bleu de travail. Certes, la récupération de cette pièce emblématique du work wear n’est pas nouvelle. Les étudiants des Beaux-Arts s’en procurent depuis plusieurs décennies dans les friperies. Ce qui est plus notable, en revanche, c’est sa diffusion comme truisme dans les univers tertiaires, assortie d’une montée en gamme (270 euros pièce chez Soubacq). On est là face à un élément signalétique ultime, une représentation de l’effort manuel à l’heure de sa presque disparition : « Youhou, je bosse, moi ! », crie haut et fort le vêtement, alors que tout dans votre attitude semble prouver le contraire.

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Ce véritable « uniforme de l’ouvrier », emblématique de l’usine et des ateliers de mécanique, tire son nom de sa couleur, le bleu de Prusse. Répondant à des exigences de sécurité, sa coupe simple et droite évitait de se faire happer un membre par les machines-outils. Quant à sa toile épaisse, elle protégeait aussi bien du froid que des brûlures, de la poussière que des projections de graisse. Par l’appartenance qu’il manifestait, le bleu de travail a incontestablement participé à l’émergence d’une conscience de classe. En face, les « cols blancs », eux, ne mettaient pas les mains dans le cambouis.

Désormais, ce sont des start-upeurs, ou des quadras de professions intellectuelles tentant de rester cool avec leurs Veja aux pieds, qui l’ont adopté. Je dois ici le confesser : il y a quelques mois, je me suis acheté un pantalon bleu de travail. Que je n’ose pas vraiment sortir du placard, de peur de participer à ce que Frustration Magazine appelle la « gentrification vestimentaire ». Aujourd’hui, cette pièce iconique ne vous habille plus pour vous protéger des bouts de métal incandescents projetés par le chalumeau, mais pour rappeler vos lointaines racines ouvrières. Dans votre « bleu », vous êtes un transclasse qui a la classe, célébrant avec une nostalgie surjouée un monde prétendument disparu.

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Sentiment d’« authentoc »

Une pièce de vestiaire gentrifiée, c’est, à l’instar d’un quartier, ce vêtement originellement fonctionnel dans lequel un public CSP+ va venir se glisser pour y diffuser subrepticement ses codes. Les nouveaux bleus de travail seront « upcyclés », de toutes les couleurs, surtout pas sales. Les poches ne serviront pas à mettre des clés à molette mais des cigarettes électroniques. Personne ne transpirera dedans. L’authenticité laborieuse du prolétariat qui faisait l’âme du vêtement sera progressivement remplacée par un sentiment diffus d’« authentoc », comme dans une émission de Frédéric Lopez. Votre bleu ira très bien avec votre collection de mobiles en bois flottés achetés une fortune sur l’île de Ré.

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