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ARTE – MERCREDI 9 OCTOBRE À 22 H 55 – DOCUMENTAIRE

Selon une note blanche du ministère de l’intérieur de juillet 2022, une femme tue son enfant en France tous les dix jours. Cette statistique a interpellé la réalisatrice Sofia Fischer, qui a commencé par consulter les procès-verbaux d’audition : « je n’avais pas le choix » est la phrase qui revenait le plus souvent. Puis elle a écrit à des femmes infanticides en prison, à leur famille, à leurs avocats, pour solliciter leurs témoignages, avec un engagement : « Si vous me confiez votre parole, je vous promets d’en prendre soin. » Elle en a fait un film, son premier, qui met en exergue les points communs à ces parcours tragiques. « Pour aider celles pour lesquelles ce n’est pas trop tard », dit-elle.

Trois témoignages sont présentés, en commençant par celui de Blanche et d’Alexia, respectivement mère et sœur d’Hélène, qui a tué son fils de 4 ans, avant de se donner la mort. Hélène était dépressive, mais ne le montrait pas, assurent les deux femmes, filmées chez elles. C’est un premier point commun aux trois récits. Suivront les violences, la présence d’un homme, le sentiment d’impunité masculine, la solitude.

La réalisatrice a pris le temps nécessaire pour que la parole se libère : Blanche et Alexia reviennent ainsi en détail sur la journée du drame et l’annonce brutale par la police – « Votre fille a tué son fils »… La mère s’offusque. Elle sera moins loquace, plus tard, lorsque Alexia évoquera les attouchements du père.

Failles du système

Pour Jean-Guillaume Le Mintier, avocat au barreau de Rennes, « il est plus rassurant pour la société de cataloguer ces femmes au rang de monstre plutôt que d’essayer de comprendre ». Le docteur Mathieu Lacambre, psychiatre, chef de service au CHU de Montpellier, va permettre à chacun d’y voir plus clair : « Etre mère, on ne peut pas s’en dégager, et plus il y a d’injonctions, plus la mère se sent acculée, prisonnière, au point de ne plus envisager qu’une ultime solution. »

A la narration, l’actrice Laure Calamy lit des extraits de la lettre de Cécile, dix pages envoyées de prison à la réalisatrice : « Chère Sofia, (…) on ne se lève pas un matin en se disant qu’on va tuer son enfant… » L’intonation, appuyée, alourdit le récit par ailleurs bouleversant de sincérité et révélateur des failles du système policier et juridique.

Lire le récit (2016) | Ouverture du procès d’une mère infanticide à Saint-Omer

Troisième à témoigner, Christelle est filmée de dos. Malgré l’épreuve que cela représente visiblement pour elle, elle va raconter comment, à 18 ans, mère « forte et disponible » de deux filles, elle a basculé en voyant grandir son aînée. Avec, en point d’orgue, une séquence ininterrompue de plus de six minutes, qui débute par : « Mon père a frappé à la porte. J’ai ouvert comme on ouvre à son papa. J’ai cru qu’il allait me demander pardon. »

En filigrane, ces drames mettent en exergue la charge qui pèse sur toute mère. La société leur en demande-t-elle trop ? « Vaste débat », dit Me Frédérique Baulieu, avocate au barreau de Paris. Sous la pression, les plus fragiles craquent.

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« Régulièrement, des mamans me disent : parfois j’ai envie de le jeter par la fenêtre. C’est normal, et c’est bien de le verbaliser, énonce calmement le docteur Lacambre. En revanche ne rien dire, avoir honte et se pencher par la fenêtre pour voir à quelle hauteur on se trouve du sol… »

Mères à perpétuité, documentaire de Sofia Fischer (Fr., Bel., 2024, 70 min). Sur Arte.tv jusqu’au 8 décembre.

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