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ARTE – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE

Si le titre est mystérieux, le documentaire ne l’est pas moins : il commence par la découverte, sur les bords de Loire, d’une maison abandonnée, couverte de lierre, le toit en partie effondré. Mais à l’intérieur, sous la poussière et les monceaux de toiles d’araignée, tout est intact, comme si les habitants des lieux étaient partis subitement, laissant tout derrière eux. Tout, c’est-à-dire du matériel de peintre, chevalet, tubes et pinceaux, mais aussi quelques sculptures d’inspiration précolombienne, de la correspondance – principalement rédigée en espagnol – et des négatifs de photographies.

A partir de ce matériel, et du témoignage d’une voisine dont on apprendra par la suite qu’elle fut bien plus que cela, Benjamin Delattre part à la recherche de celui qui vécut là, l’artiste chilien Eudaldo Morales (1914-1987). « Qui ça ? », demandent les bibliothécaires de grands musées latino-américains : là-bas, personne ne se souvient de lui.

Il fut pourtant très remarqué par la presse lors d’une série d’expositions à travers le continent, entre 1938 et 1948. Il fut photographié avec Pablo Neruda, et le critique chilien Victor Carvacho lui consacra plusieurs articles, estimant que sa peinture annonçait « ce qu’on pressent devoir être un jour le grand style national ». Ce qu’on voit de ses tableaux, à l’époque figuratifs, montre un surréaliste un peu naïf, mais aussi très inspiré par les sujets et la culture populaire.

Un taiseux

Au Chili, marié à une institutrice, trois enfants, il rencontre une fille de diplomates, Consuelo Araoz, qui le persuade de poursuivre sa carrière à Paris. Il abandonne femme et enfants – lesquels ne le lui pardonneront jamais – et part pour la France où il arrive avec Consuelo, en 1949. Le couple s’installe rue de Vaugirard, et s’intègre à la vie parisienne. Elle crée des costumes pour la chanteuse Suzy Solidor, lui prend contact avec ses homologues parisiens, dont Picasso – un passage obligé pour tout artiste hispanophone –, mais surtout avec ces peintres abstraits des années 1950, tels Bazaine, Manessier et Le Moal.

Ils exercent une forte influence sur son art. Trop forte hélas : ses tableaux sont parfois d’une grande beauté, mais manquent d’originalité. Ses racines latino-américaines, qui faisaient le charme de sa peinture précédente, se dissolvent dans le chaudron de l’école de Paris.

Le couple s’intègre aussi à la communauté d’artistes à l’initiative du peintre André Lhote à Alba-la-Romaine, en Ardèche. Là aussi, il jouit d’une certaine notoriété, au point d’être interviewé à la télévision, mais vend très difficilement sa peinture, malgré plusieurs expositions. Il faut dire que, selon les témoignages, le bonhomme était un taiseux, qui ne faisait rien pour plaire ou se mettre en avant.

Misère

Les amants se séparent, Consuelo reste dans le Sud, lui s’installe sur les bords de Loire, puis dans la banlieue parisienne, où il finira sa vie dans la misère, prenant semble-t-il conscience, dans une lettre à Victor Carvacho qui sonne comme un appel au secours, qu’il a peut-être fait fausse route : on ne dévoilera pas pourquoi, il ne faut pas déflorer l’aspect d’enquête policière qui est le charme de ce documentaire.

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Le film est aussi un bel hommage à tous ces artistes – et ils sont nombreux – qui ont sacrifié leur vie (mais aussi dans son cas celle des autres) à leur passion. Un monument aux artistes inconnus.

J’ai rendez-vous avec un arbre, de Benjamin Delattre (Chi.-Fr., 2024, 78 min). Disponible jusqu’au 16 octobre 2025.

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