Depuis sa création en 1972, le Festival d’automne bâtit sa réputation sur les audaces des artistes qu’il programme. Déconstruire l’existant, pulvériser le classicisme, inventer des modalités inédites d’adresse, de jeu, de mise en scène, révéler les coutures des projets, performer plutôt que jouer, installer plutôt que représenter : les mutations opèrent dans le fracas, ou alors elles s’exercent en douceur. C’est le cas cette année.
A la manœuvre d’évolutions plus que de tonitruantes révolutions, une génération de trentenaires et de quadragénaires : Gurshad Shaheman, Maxime Kurvers, Camille Dagen et Emilie Rousset. Leurs propositions prennent à rebours les codes habituels du spectaculaire. On ne verra pas sur leurs plateaux de grands et beaux décors. On ne découvrira pas davantage de comédiens en costumes d’époque se livrant à de lyriques incarnations. La croyance en des fictions lénifiantes est passée de mode et la mimêsis a vécu. Place à un réel repensé.
Cela commence par la refonte du lexique. « Je me revendique comme un metteur en présence », affirme Gurshad Shaheman. « Tout mon vocabulaire vient de la performance. Je parle de dispositifs ou de processus », insiste Camille Dagen. « J’ai du mal à me nommer metteur en scène », poursuit Maxime Kurvers. « Seuls m’intéressent les artistes qui interrogent leur forme et développent un langage scénique qui leur est intime », conclut Emilie Rousset, qui reprend Reconstitution : le procès de Bobigny et Rituel 5 : la mort.
Deux projets en marge des conventions : le premier (consacré à la lutte des femmes pour le droit à l’avortement) mise sur le libre arbitre du public, qui déambule à son gré dans une installation d’écrans vidéo ; le second associe théâtre et cinéma pour une plongée dans les rituels liés à la mort. « Je procède par soustraction, écart, collage, agencement pour provoquer de l’imaginaire collectif. La théâtralité que je tente de mettre en œuvre ne doit pas rendre le spectateur captif. Je ne veux pas m’inscrire dans une linéarité de sens. » Raison pour laquelle Emilie Rousset suggère, plus qu’elle n’assène, et n’occulte pas les artifices employés.
L’ici et maintenant du théâtre
Pourquoi piéger les gens dans de fausses illusions, alors que l’ici et maintenant du théâtre est passionnant à décrypter ? « Notre pouvoir, c’est le partage du présent, cette notion qui est mise en difficulté par l’époque », assure Camille Dagen, dont le spectacle, Les Forces vives, traverse les récits de Simone de Beauvoir (Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses, Cahiers de jeunesse) en évitant l’écueil du biopic. Pas de saga existentialiste sur le plateau. Pas de comédienne identifiée pour interpréter l’autrice du Deuxième Sexe.
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