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Histoires Web vendredi, septembre 20
Bulletin
Jean-Marc Théolleyre, dans les années 1960.

Un frêle jeune homme se présente, en octobre 1945, au siège du journal, rue des Italiens, curriculum vitae en poche. Théolleyre Jean-Marc. Né le 31 juillet 1924 à Lyon. Licencié en lettres classiques. Entré dans la Résistance en 1942, zone sud de Toulouse, « réseau action » du Comité d’organisation des parachutages et atterrissages. Arrêté le 29 novembre 1943. Incarcéré à Bayonne et à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), à Bordeaux, puis transféré au camp de Compiègne (Oise). Déporté à Buchenwald le 29 janvier 1944. Libéré le 11 avril 1945. Célibataire. Il a une adresse chez un logeur, boulevard du Montparnasse, et un numéro de téléphone, LIT. 24-86.

Son nom a été soufflé au patron, Hubert Beuve-Méry, par un prestigieux parrain, Rémy Roure, qui vient de rejoindre Le Monde comme éditorialiste politique. L’ancien journaliste du Temps, résistant, compagnon de la première heure du général de Gaulle, répond de ce garçon de 21 ans, qu’il a connu en déportation. Théolleyre est pris à l’essai. Il enfourche son vélo, traverse Paris, hume l’air de ces premiers mois de paix et rapporte au journal de courts billets. « Il a le vibrato », conclut le patron.

Quarante-quatre ans plus tard, le 23 juin 1989, tout ce que le monde judiciaire compte de magistrats capés, de ministres ou d’anciens ministres, dont Robert Badinter, d’avocats célèbres et de discrets artisans se presse sous les arches de pierre du restaurant du Palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité, à la réception donnée par le journal en l’honneur du départ à la retraite de Jean-Marc Théolleyre.

Soudain, le brouhaha se tait, l’assemblée s’écarte et tend l’oreille. Au centre du cercle, ils ne sont plus que deux. Le dos voûté, la voix sourde, Beuve fait face à « Théo ». Pendant près d’une demi-heure, il parle, sans notes, de leur long compagnonnage. Hubert Beuve-Méry s’éteint six semaines plus tard, le 6 août, à 87 ans. Le vieux « patron », qui ne sortait plus guère de chez lui, avait tenu à faire une exception pour rendre hommage à l’ancien jeune homme devenu le plus respecté des chroniqueurs judiciaires.

Les débuts de Badinter, Halimi, Vergès…

Lire ou relire les papiers de « Théo », c’est traverser près d’un demi-siècle d’audiences, parcourir le pays, du nord au sud et d’est en ouest, et pousser les portes de ses cours d’assises, de sa Cour de sûreté de l’Etat, de ses tribunaux correctionnels et militaires. S’asseoir face au box de Marie Besnard, Pauline Dubuisson, Marguerite Marty, Gaston Dominici, des médecins et des gardiens du camp du Struthof, des auteurs du massacre d’Oradour-sur-Glane, de Raoul Salan, de Bastien-Thiry et de Klaus Barbie. Partir en Algérie, à Madagascar et jusqu’à Jérusalem, au procès d’Adolf Eichmann. Entendre requérir la peine capitale et résonner les voix de Maurice Garçon, Albert Naud, Henry Torrès, Emile Pollak, René Floriot, Paul Baudet ou Jean-Louis Tixier-Vignancour.

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