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Histoires Web vendredi, septembre 20
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Levons le faux suspense : les amis des chiens et des chats peuvent respirer. Les Haïtiens de Springfield ne mangent pas les animaux de compagnie. Le fait même d’énoncer cette phrase grotesque traduit la tourmente qui a concassé cette petite ville de l’Ohio. Une tornade artificielle, causée par Donald Trump. Lors du débat télévisé avec Kamala Harris, le 10 septembre, l’ancien président a relayé cette légende urbaine issue de Facebook, consacrant ainsi les Haïtiens en incarnation virale de la menace migratoire pesant, selon lui, sur les Etats-Unis, avec la complicité des démocrates.

Les conséquences ont été immédiates. Une trentaine d’alertes à la bombe ont été recensées dans la ville, dont l’origine n’est pas établie. Le festival culturel, prévu fin septembre, a été annulé. Des écoles ont fermé, l’université a organisé les cours en ligne.

Dans le petit centre communautaire des Haïtiens, la directrice des opérations, Rose-Thamar Joseph, compte 280 e-mails en retard. Les messages de soutien et de solidarité affluent de tout le pays. « On se focalise sur la communauté haïtienne, mais c’est toute la communauté de Springfield qui souffre de la situation, dit cette employée d’Amazon, dans un excellent français. J’ai été choquée, abasourdie, en entendant Trump. Venant d’une personnalité de cette catégorie, peut-être éduquée… Ces gens ont tout ce qu’il faut pour vérifier l’information, mais ne l’ont pas fait. »

Le directeur exécutif du centre, Viles Dorsainvil, est débordé. Salarié au bureau d’aide sociale de la ville, cet homme réfléchi de 38 ans sert de point de contact pour les autorités. Avec les autres volontaires, Viles Dorsainvil a passé des messages à la communauté. Ceux qui ont les moyens sont invités à installer une alarme et des caméras chez eux. La nuit, mieux vaut laisser la lumière dehors. Toujours sortir en groupe. Drôle d’époque.

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« J’aime la diversité de Springfield, dit le directeur. Mais il y a un petit groupe de suprémacistes qui ne sont pas favorables à l’intégration. Le mois dernier, ils étaient entre cinq et dix à défiler en armes, avec des capuches. C’était juste pour intimider. On a eu aussi des commentaires négatifs, des maisons et des voitures vandalisées. C’est une situation très malheureuse, mais on garde la tête haute. » En réalité, le problème dépasse une poignée d’extrémistes. La mue d’une ville s’est transformée en laboratoire de l’Amérique, en miroir de ses angoisses et de sa polarisation incandescente.

Vertus de la croissance

Située entre Dayton et Columbus, entourée de stations-service, d’entrepôts et de chaînes de restauration insipides, Springfield a vécu un bouleversement qui ne se laisse pas capturer avec des clichés. Dans les années 1960, la cité comptait 80 000 habitants. L’industrie employait à tour de bras, Springfield se développait à l’instar de ce nord-est métallurgique, poumon industriel américain. Mais, à compter des années 1980, les délocalisations ont ravagé l’économie locale et décimé les foyers. La population est tombée à 60 000 habitants. Et puis, un nouveau bouleversement se produisit.

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