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Histoires Web jeudi, septembre 19
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L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

Dans une station-service, la nuit, un jeune homme met de l’essence dans sa voiture. Au volant, le visage mangé par la capuche, il explique que « les gens, ici, ont peur de parler ». De la fenêtre du véhicule, un immense site pétrochimique dessine un paysage futuriste. Telles sont les premières images de Toxicily, de François-Xavier Destors et Alfonso Pinto, documentaire fiévreux, à mi-chemin entre le film d’enquête et la dystopie.

Nous sommes en Sicile (Italie), au nord de Syracuse, à Augusta, où l’un des plus grands pôles industriels d’Europe pollue le territoire depuis son implantation, dans les années 1950. Dans Toxicily, on entend « Sicily », la Sicile, dont on oublie vite ici les charmes touristiques. Au départ, l’arrivée de la raffinerie de pétrole et des gros tuyaux acheminant l’or noir était perçue comme une aubaine par la population locale. Puis, la pollution des sols, la découverte de poissons difformes par les pêcheurs ainsi que les maladies contractées par les habitants ont transformé ce bout de côte en cauchemar écologique et sanitaire.

Le 28 de chaque mois, le curé de la paroisse, don Palmiro, donne une messe en mémoire des morts – salariés qui ont succombé à un cancer, bébés victimes de malformations, etc. D’autres personnes vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, telle cette jeune fille qui a souffert de maux de ventre et ne sait pas si elle pourra avoir des enfants plus tard.

Pourtant, en dehors de sites d’information ciblés et de tentatives de mobilisation, la catastrophe écologique à Augusta est peu documentée. Est-ce la pression de la Mafia, la peur de perdre son emploi – car il n’est pas rare que les pères transmettent leur poste à leur fils ? Une phrase entendue fait froid dans le dos : « Mieux vaut mourir d’un cancer que de faim. » Les enfants gardent encore une parole spontanée, à l’image de ce petit garçon dont le père est employé par le groupe pétrochimique. A sa mère qui lui propose d’aller visiter l’usine où « travaille papa », il répond obstinément : « Non, je veux pas mourir. »

Parole confisquée

Les réalisateurs ont fait le choix d’articuler le film autour de cette parole confisquée, tout en prenant le temps de faire connaissance avec les acteurs locaux. Historien de formation, François-Xavier Destors a signé plusieurs documentaires d’investigation : Rwanda, la surface de réparation (2014), et Norilsk, l’étreinte de glace (2018), enquête sur un ancien goulag contrôlé d’une main de fer par les producteurs de cuivre et de nickel. Chercheur et sicilien, originaire de Palerme, Alfonso Pinto est l’auteur de l’essai Anthropocène, âge du désastre. Les catastrophes industrielles et leurs imaginaires (Ed. 205, 2023).

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