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Histoires Web mardi, octobre 7
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La saison printemps-été 2026 a été une rampe de lancement pour de nombreux directeurs artistiques, propulsés à la tête de maisons dont ils s’emparent du destin esthétique. Tout au long de la fashion week parisienne, qui s’achève le 7 octobre, une question s’est imposée : que doit faire un créateur des codes de la marque et à quel point peut-il exprimer son goût personnel ? Face à cette équation, même après des années d’expérience, chacun continue à chercher le juste équilibre.

Chez Hermès, Nadège Vanhée avait envie d’étudier le costume folklorique, en particulier celui des Camarguaises, pour lui « apporter un peu de modernité ». En faisant des recherches dans les archives, elle a trouvé une selle camarguaise qui permettait de rapprocher son objet de recherche de l’ADN équestre de la maison. Il s’agit d’une imposante selle en cuir lisse et marron − une commande de l’acteur Charles Vanel à Hermès en 1935, après le tournage du film Roi de Camargue (1934), qui a été racheté par la marque dans les années 2000.

Le décor du défilé, situé dans la caserne des Célestins, à proximité des chevaux de la garde républicaine, évoque le sud de la France, avec du sable et des brisures de coquillages au sol. La collection, elle, se garde d’allusions trop littérales au folklore − pas de jupons ni de châles −, et dessine plutôt un vestiaire sensuel, avec des brassières associées à des jupes fendues qui dégagent la jambe, des harnais lacés sur des vestes équestres et des minicyclistes en maille sous des shorts portefeuille.

Comme toujours, le cuir est le trait d’union entre les dimensions élégantes et sportswear de son vestiaire. Il est présent sur de somptueux manteaux chocolat dont le cuir ciré (à la main) rappelle la fameuse selle camarguaise, sur une petite robe noire diablement efficace ou encore sur les bottes équestres portées par toutes les mannequins. Les inspirations de Nadège Vanhée, qui maîtrise parfaitement son sujet, sont avant tout au service des codes d’Hermès.

Chez Valentino, Alessandro Michele ranime l’élégance romantique développée par le fondateur, Valentino Garavani. Jusqu’ici, certains contempteurs lui reprochaient de trop délaisser ce chic éthéré au profit de sa propre fantasmagorie baroque. « Partager le monde d’un empereur comme [Garavani] est un défi », avoue Alessandro Michele, qui fête en 2025 ses « 30 ans de métier ».

L’Italien déploie blouses exquises en mousseline à manches bishop, jupes taille haute boutonnées sur l’avant, tailleurs stricts rehaussés d’un nœud gros grain ou tops courts drapés en satin duchesse. Une veste ou un short nonchalant sont brodés de sequins, telles des tapisseries florales ; le revers d’un smoking plissé paraît nappé à la feuille d’or ; des broches papillon s’accrochent sur une manche ou un dos.

L’ensemble s’admire dans un décor obscur, réveillé par des éclats de lumière qui clignotent comme des lucioles − un clin d’œil à ces insectes évoqués par le cinéaste Pier Paolo Pasolini (1922-1975) dans une lettre à Franco Farolfi, un camarade, en 1941. « Au beau milieu d’une guerre mondiale, [Pasolini] évoque son besoin d’érotisme, de sensualité, explique Alessandro Michele. Cela m’a ému aux larmes et poussé à m’interroger sur mon devoir de faire advenir du beau dans un monde en guerre. » En mariant l’allure surannée valentinesque à son discours politique contemporain, le designer rend lisible son credo : la mode comme résistance aux ténèbres.

Volants, dentelles et grigris

Pieter Mulier est le premier designer à succéder à Azzedine Alaïa, mort en 2017. Il garde en tête la vision du fondateur, qui sculptait le vêtement sur le corps pour créer une allure à la fois graphique et sensuelle. Cette feuille de route complexe exige une grande technicité − en plus des qualités habituelles du designer artistique chargé d’imaginer un univers autour du vêtement. Mais le Belge est indéniablement l’homme de la situation, et il le prouve encore cette saison.

« Je voulais des vêtements qui pleurent », explique-t-il après son show, où l’on a vu des silhouettes variées mais ayant en commun une certaine verticalité, comme si elles étaient allongées. Des drapés partent du cou et se prolongent jusqu’aux genoux, de longues franges ondoyantes surgissent sous un manteau, des jupes asymétriques à étages créent un hypnotisant crénelage, des pantalons coupés de biais laissent toute la partie extérieure de la jambe dénudée…

Son travail sur les formes et les matières n’est pas seulement singulier, il est aussi séduisant et son charme est amplifié par la palette de vermillon, prune, vert-jaune et bleu roi. Pieter Mulier atteint son but et « cré[e] une bulle de beauté loin d’Instagram et de l’actualité ». Azzedine Alaïa aurait sûrement apprécié ce geste, comme Raf Simons, l’ancien collègue de Pieter Mulier chez Dior et Calvin Klein, qui est venu le féliciter après le défilé.

Nommée en 2023 à la tête de la création de Chloé, Chemena Kamali s’est d’abord employée à redéfinir les codes de la maison, un peu malmenés par un enchaînement rapide de designers qui l’avaient tirée dans différentes directions. Ses trois premières collections ont (re)dessiné un vestiaire au parfum seventies, composé de grandes robes et de petites capes à épaulettes, avec beaucoup de volants, de dentelles, de grigris. « Maintenant que les bases sont solides, je me suis dit qu’il était temps d’apporter à Chloé une nouvelle dimension, plus personnelle », explique la designer allemande.

Cette saison, Chemena Kamali a voulu se concentrer sur sa spécialité, qui n’est pas celle de Chloé : le « flou » − c’est-à-dire, en couture, le travail des vêtements souples, par opposition à la réalisation tailleur. Toute la collection repose sur le drapé, avec des jupes asymétriques au tissu plissé, relevé et noué sur une hanche, qu’elle associe à des maillots de bain, des caracos ou des blouses bouffantes taillées dans « une popeline coton tout ce qu’il y a de plus ordinaire », en théorie un peu rigide pour ce type d’exercice.

« Je voulais opposer la technique couture du drapé avec une matière presque pauvre », explique la designer qui, ce faisant, espère renouer avec l’esprit de la fondatrice Gaby Aghion (1921-2014). Celle-ci avait créé Chloé en 1952 pour proposer une alternative à la haute couture, un prêt-à-porter de qualité « qu’on verrait sur les femmes dans la rue ». L’intention de Chemena Kamali est bonne, mais l’ensemble un peu chargé manque de la simplicité constitutive de la marque.

Rien de plus difficile que de convoquer l’esprit subversif de Lee Alexander McQueen, le fondateur de la marque qui porte son nom. Le designer britannique, qui s’est suicidé en 2010, a marqué les esprits de ses contemporains avec des défilés techniquement brillants, empreints de références morbides et sexuelles exacerbées par des mises en scène dérangeantes. Autant d’éléments difficiles à reproduire aujourd’hui dans l’univers corseté du luxe − McQueen fait partie du groupe Kering.

Sean McGirr essaie pourtant. Pour sa quatrième collection au sein de la maison, le trentenaire cherche à recréer l’atmosphère inquiétante du film The Wicker Man (1973), où un policier part à la recherche d’une fillette disparue sur une île écossaise au milieu de laquelle les membres d’une secte se promènent nus avec des masques d’animaux. Autant d’éléments a priori très McQueen. Pour compléter le tableau, Sean McGirr est allé exhumer des archives le bumster, ce pantalon à la taille si basse qu’il laisse voir une bonne partie des fesses.

Mais il manque dans cette recette les deux ingrédients principaux : la sincérité de la démarche et le talent d’exécution. Lee Alexander McQueen venait à bout des critiques parce que ses collections exprimaient non seulement un goût mais aussi son mal-être, et que sa virtuosité de couturier transformait ses vêtements en œuvres d’art. Malgré tous ses efforts, on sent que Sean McGirr exprime le point de vue d’un autre et peine, de ce fait, à trouver le ton juste. Peut-être que le fantôme de Lee Alexander McQueen est encore trop présent pour que la marque puisse vraiment ouvrir un nouveau chapitre de son histoire.

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