Le sociologue du travail Daniel Veron, maître de conférences à l’université de Caen, a consacré la majorité de ses recherches aux parcours et mobilisations des travailleurs étrangers, en France et dans le monde. Dans Le Travail migrant, l’autre délocalisation (La Dispute, 2024), finaliste du prix Penser le travail 2025, il décrit et recontextualise les mécanismes de surexploitation de la main-d’œuvre étrangère.
Pour décrire le travail migrant, vous dites souvent qu’il repose sur une « délocalisation sur place ». Que cela signifie-t-il ?
C’est une expression de l’anthropologue Emmanuel Terray [1935-2024], forgée dans les années 1990 au moment du mouvement des sans-papiers de Saint-Bernard. L’idée est que, pour un certain nombre de secteurs dont la production n’est pas délocalisable – par exemple, les bâtiments doivent être construits là où ils se tiennent, il faut nettoyer les bureaux des économies tertiaires, apporter du soin dans des sociétés vieillissantes –, le travail ne peut pas être délocalisé. Ces secteurs bénéficient d’un équivalent à la délocalisation par le recours à du travail de personnes à bas prix : l’emploi d’une main-d’œuvre étrangère sans papiers ou dont les droits sont minorés offre donc un levier similaire à une délocalisation, mais sur place.
Dans votre ouvrage, vous tenez à distinguer les deux modalités du recours à cette force productive : le travail détaché et le travail illégal. Comment ces deux pratiques se sont-elles développées historiquement ?
La plus ancienne, c’est le recours aux travailleurs illégalisés ou sans-papiers. Le moment charnière se situe dans les années 1970 : après la période des « trente glorieuses », où il y a eu une immigration de travail importante, ses voies légales se sont arrêtées. J’essaie de montrer qu’il s’agit d’un mode de gestion à part entière de la migration de travail : les gens continuent d’entrer sur le territoire, ils accèdent toujours au travail, mais on va les laisser sans papiers.
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