Les réseaux sociaux, salués à l’origine comme de formidables instruments de liberté dans la communication, d’extension infinie du champ des connaissances, voire de compréhension planétaire, apparaissent de plus en plus sous leur face sombre : des instruments de polarisation politique, de diffusion de fausses nouvelles, de manipulation et de déséquilibre psychologique.
Leur potentiel effet délétère sur les capacités cognitives, voire la santé mentale des jeunes est observé dans le monde entier. Que ce risque soit désormais identifié et reconnu, et que soient recherchés les moyens de le limiter constituent un progrès. La publication, jeudi 11 septembre, du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs participe de cet effort salutaire.
« Poison lent », « engrenage mortel » : les députés n’hésitent pas à recourir à de lourdes métaphores pour décrire la « fabrique du mal-être » qu’est, selon leurs conclusions, cette application de vidéos courtes qui revendique près de 28 millions d’utilisateurs. TikTok « expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, addictifs », estiment les élus au terme de six mois d’enquête.
Par son effet addictif, l’application semble « favoriser l’émergence » de troubles psychiques et « précipite le passage à l’acte ». Non seulement les contenus racistes, antisémites, sexistes ou masculinistes pullulent sur TikTok, mais la santé mentale des utilisateurs, qui y est menacée, y fait l’objet de fausses informations.
Si la plateforme chinoise lancée en 2016, populaire chez les adolescents, est légitimement au centre des préoccupations, d’autres applications comme Instagram, Snapchat ou X soulèvent les mêmes critiques, du fait que leur modèle économique, donc leur algorithme, repose sur une logique analogue : capter l’attention par tous les moyens afin de collecter le maximum de données personnelles. Un « modèle » qualifié d’« intrinsèquement abusif » en 2023 par Amnesty International.
A une époque où la protection des enfants et des adolescents est considérée à juste titre, plus que jamais, comme une priorité, les laisser sans défense dans cette jungle numérique qui ignore nombre des règles élémentaires de la vie en société, voire des lois pénales, apparaît socialement suicidaire. Une partie des réponses doit venir, comme le suggèrent les députés, d’actions de « sensibilisation massive » des jeunes et de leurs parents destinées à leur faire connaître les risques.
L’idée d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans et celle d’instaurer un « couvre-feu numérique » rendant les réseaux sociaux inaccessibles entre 22 heures et 8 heures devraient être discutées par la convention citoyenne sur les temps de l’enfant lancée en juin, et faire l’objet d’une concertation européenne.
Mais l’imposition de telles règles risque d’être inopérante sans l’application stricte du Digital Services Act de l’Union européenne (UE), qui vise à accroître la transparence des algorithmes, à cadrer la modération des contenus, et à responsabiliser les plateformes. Le courroux manifesté par Donald Trump sur l’application des règles européennes visant à civiliser les réseaux sociaux met en lumière, a contrario, leur potentielle efficacité. La protection des jeunes Européens suppose de ne pas céder aux pressions antirégulation américaines ; elle passe par la défense des attributs de souveraineté numérique de l’UE.