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Histoires Web vendredi, juillet 18
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Il y a d’abord ses mains, fines et délicates, qui égrènent un long chapelet, du geste lent et léger de ceux qui ont appris à goûter chaque seconde de l’existence. Il y a cette chambre, nue, où son corps est allongé sur le dos au milieu d’un grand lit. Les fenêtres et le tabouret sur lequel repose un paquet de cigarettes surlignent un décor minimaliste d’une blancheur de page vierge. Et puis, soudain, il y a sa voix, aussi rapide qu’implacable : « Je suppose que beaucoup de gens me reprochent d’être aussi souvent hors des Etats-Unis, mais on ne peut pas se permettre de s’en soucier, car on fait ce qu’on doit faire, comme on doit le faire. »

James Baldwin se lève. Il ne porte qu’un slip, se gratte nonchalamment le dos et ouvre les rideaux avant que l’œil de la caméra plonge en travelling sur le Bosphore, suivant les bateaux qui font la navette entre les rives européenne et asiatique de la mégapole stambouliote encore en plein réveil. Ces images, tirées du documentaire en noir et blanc de onze minutes James Baldwin : From Another Place, réalisé par le photographe turc Sedat Pakay, ont été tournées en mai 1970. Introuvables il y a encore deux ans, hormis un court extrait sur YouTube, elles donnent à voir une des périodes les plus importantes et les plus créatrices, et pourtant relativement méconnue, de la carrière de l’écrivain nord-américain.

A l’époque du film, James Baldwin a 45 ans et brille de tous ses feux. Plume incisive, souvent éblouissante, reconnu comme étant un des plus importants auteurs de son temps, homosexuel affirmé et pionnier de la cause gay, porte-voix du mouvement des droits civiques, il vivait à Istanbul par intermittence depuis près de dix ans. Une décennie turque, pleine de fêtes et d’amis, de remise en cause et de combat, qui allait se clore quelques mois plus tard et former cette longue période d’exil si particulière qui, comme il le répétera à maintes occasions à ses proches, lui a « sauvé la vie ».

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