Francis Dupuis-Déri, politiste : « Les “incels” forment l’une des communautés très actives du mouvement masculiniste aujourd’hui »

Francis Dupuis-Déri est professeur de science politique et chercheur à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’université du Québec à Montréal (UQAM). Ses travaux portent sur la démocratie et les mouvements sociaux, ainsi que sur les mouvements antiféministes. Auteur de La Crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace (Points, 2022), il a notamment travaillé sur la dimension politique du discours masculiniste.

Pour la première fois en France, la justice a mis en examen un homme pour un projet d’attentat d’inspiration exclusivement masculiniste. De quelle façon ce terrorisme a-t-il émergé en Amérique du Nord ?

Le terrorisme masculiniste est présent depuis une trentaine d’années aux Etats-Unis et au Canada, où nous avons connu, en décembre 1989, un attentat antiféministe à Polytechnique Montréal. Un jeune homme armé d’un semi-automatique y a tué 14 femmes. Il a déclaré sur place haïr les femmes et a laissé une lettre qui est une véritable déclaration de guerre aux féministes, avant de se suicider.

Cette tragédie a été un choc terrible pour le pays. Mais ce qui a beaucoup choqué aussi, ce sont les commentaires entendus les semaines suivantes dans les médias, pour expliquer que cet attentat était compréhensible, car les femmes et les féministes avaient pris beaucoup de place et que les hommes en souffraient, comme l’analyse la sociologue Mélissa Blais dans L’Attentat antiféministe de Polytechnique (Les Editions du Remue-ménage, 2024).

D’autres attentats ont suivi depuis. Les plus tristement célèbres sont probablement l’assassinat de six personnes, en 2014, à Isla Vista, en Californie, que l’auteur de 22 ans a motivé par sa haine des femmes, et celui de Toronto, en 2018, où un jeune homme a foncé dans la foule avec un camion bélier, tuant dix personnes. Au total, plus d’une centaine de victimes, selon les données collectées en 2023 par Annvor Seim Vestrheim à l’UQAM, principalement des femmes, ont été assassinées par des hommes se revendiquant ou reconnus par le mouvement des « incels » comme étant l’un des leurs.

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