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C’est l’histoire de trois enfants ayant ingéré accidentellement du chocolat en tablette contenant du Psilocybe cubensis, un champignon aux propriétés hallucinogènes. Leur père avait reçu, en cadeau d’un ami venu des États-Unis, une tablette de chocolat belge, composée de 15 carrés contenant au total 4 g de P. cubensis (soit environ 267 mg par carré).

Tablette de chocolat belge (noix de coco) de la marque Polkadot, contenant du champignon
Psilocybe cubensis et consommée par des patients.

Ignorant la présence d’une substance psychoactive dans le chocolat, il en a donné à ses trois enfants pour le goûter : deux carrés au plus jeune, âgé de 3 ans (15 kg), et un carré à chacun des deux autres, âgés respectivement de 6 ans (22 kg) et 8 ans (31 kg). Moins d’une heure après ingestion, les trois enfants présentaient une mydriase (dilatation des pupilles), une euphorie modérée et une fatigue importante (asthénie). La plus jeune a également eu des hallucinations fugaces. Ils ont été conduits aux urgences où, sur conseil du centre antipoison, ils ont reçu du charbon activé (1 g/kg), 90  minutes après l’ingestion.

Les symptômes ont persisté six heures. Après une surveillance hospitalière de douze heures, justifiée par un risque de convulsions et de déshydratation, les enfants ont pu regagner leur domicile. Aucun autre symptôme n’aété rapporté par les parents (respectivement kinésithérapeute et infirmière) entre la sortie de l’hôpital et la fin du suivi téléphonique effectué par le centre antipoison 48 heures après l’ingestion. Les trois enfants se sont entièrement rétablis, sans séquelle.

Ces cas pédiatriques d’intoxication familiale involontaire liés à une tablette de chocolat contenant du Psilocybe cubensis ont été rapportés en octobre 2024 dans la revue Toxicologie Analytique et Clinique par des médecins du centre antipoison Nouvelle-Aquitaine, du service des urgences pédiatriques et du laboratoire de pharmacotoxicologie du CHU Bordeaux Pellegrin.

Le Psilocybe cubensis est un petit champignon reconnaissable à son chapeau brun jaunâtre en forme de clochette (le terme psilocybe vient du grec, signifiant « tête chauve »). Après ingestion, la psilocybine (4-phosphoryloxy-N,N-diméthyltryptamine) contenue dans ce champignon est métabolisée en psilocine, un métabolite actif capable de traverser la barrière hémato-encéphalique (sang-cerveau). La psilocybine et la psilocine ont une structure très similaire à celle de la sérotonine (5-hydroxytryptamine ou 5-HT), un neurotransmetteur.

L’analyse toxicologique, réalisée par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS), a révélé la présence de psilocine dans les urines des enfants. Une analyse complémentaire par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse quadripolaire à temps de vol (LC-QTOF) a confirmé la présence de psilocine sur des résidus de chocolat.

Dans certains pays, l’achat de Psilocybe cubensis est légal, bien que la psilocybine et la psilocine soient interdites. En France, la législation est plus stricte : les champignons du genre Psilocybe, ainsi que la psilocybine et la psilocine, sont classés comme stupéfiants. Leur acquisition, possession, usage, production, transport et cession (même gratuite) sont interdits.

Dissimulation de P. cubensis dans du chocolat

La tablette incriminée avait été achetée aux États-Unis, dans un État où certains champignons hallucinogènes sont en vente libre, puis introduite illégalement en France par un ami du père des enfants. La dissimulation de P. cubensis dans un produit alimentaire, ici du chocolat, a facilité son importation.

L’intoxication par Psilocybe cubensis provoque typiquement une tachycardie, une élévation de la pression artérielle, une mydriase, une sécheresse des muqueuses, des troubles de l’équilibre et de la motricité, ainsi que des hallucinations sensorielles (visuelles, auditives, tactiles), des perturbations de l’humeur, et des altérations de la perception du temps et de l’espace.

Les effets apparaissent généralement 20 à 30 minutes après ingestion et peuvent durer de 30 minutes à 12 heures, comme observé chez ces enfants. « Il existe une grande variabilité individuelle mais les symptômes persistent tant que la psilocine n’est pas métabolisée », précisent Cécile Adamski et ses collègues. On ne dispose pas d’antidote spécifique de la psilocine ou de la psilocybine. La prise en charge est donc uniquement symptomatique avec plusieurs options thérapeutiques, notamment le charbon activé, une benzodiazépine ayant une action anticonvulsivante (lorazépam), un antipsychotique (ziprasidone, rispéridone).

Les auteurs mettent en garde contre une possible augmentation des intoxications pédiatriques et insistent sur la nécessité d’harmoniser la législation au niveau international. Ils rappellent une situation bien documentée aux États-Unis avec le cannabis en produits alimentaires (« edibles »), que des enfants consomment parfois par inadvertance, attirés par leur forme sucrée (bonbons, biscuits) ou par manque d’information, notamment chez les plus jeunes qui
ne savent pas encore lire.

Absence de législation mondiale homogène

L’importation de produits contenant des substances psychoactives pose un problème de santé publique, en raison de la diversité des législations d’un pays à l’autre. En France, les champignons hallucinogènes, notamment des genres Stropharia, Conocybe et Psilocybe, sont interdits. « Pour mieux surveiller ces échanges et assurer une traçabilité efficace, il serait souhaitable d’établir une législation internationale commune, garantissant une réponse juridique cohérente concernant le transport, la possession et la consommation de ces produits », estiment  les auteurs.

Aux États-Unis, en juin 2024, les centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) et la Food and Drug Administration (FDA) ont lancé une alerte concernant le rappel des produits de la marque Diamond Shruumz (chocolats, cornets et bonbons) après la survenue de nombreux cas d’effets indésirables graves. Les analyses ont révélé la présence non seulement de psilocine et d’acétylpsilocine (un précurseur synthétique), mais aussi d’autres substances toxiques, notamment des composés issus de Amanita muscaria (amanite tue-mouches), un champignon connu pour ses propriétés hallucinogènes.

Au 31 octobre 2024, les CDC avaient recensé sur l’ensemble du territoire américain 180 cas d’intoxications liées à la consommation de chocolat contenant un champignon hallucinogène, dont 118 imputables à la marque Diamond Shruumz. Les personnes intoxiquées vivaient dans 34 États différents. Au total, 73 hospitalisations ont été signalées, ainsi que trois décès potentiellement associés à ces intoxications.

Tous les produits de la marque Diamond Shruumz ont été retirés du marché depuis et ne sont plus disponibles à la vente. Ces articles étaient distribués en ligne ainsi que dans divers points de vente, notamment des magasins de cigarettes électroniques et des boutiques spécialisées dans les produits dérivés du chanvre, tels que le cannabidiol (CBD) ou le delta-8 tétrahydrocannabinol (delta-8 THC).

En novembre 2024, des urgentistes de la faculté de médecine de l’université de Floride à Jacksonville ont publié dans l’American Journal of Emergency Medicine une série de 164 cas d’exposition à des produits chocolatés contenant des champignons hallucinogènes.

Leur analyse approfondie a finalement porté sur 36 intoxications bien documentées. Dans la majorité des cas (23, soit 64 %), l’exposition était intentionnelle, correspondant à un usage détourné ou abusif. En revanche, trois intoxications, survenues chez des adultes, étaient involontaires, comme les trois cas pédiatriques rapportés par les médecins bordelais. L’âge moyen des patients était de 17 ans. Le produit chocolaté le plus fréquemment identifié était Diamond Shruumz (6 cas sur 36).

La plupart des patients ont présenté des effets cliniques mineurs, avec une durée des symptômes allant de 3 à 24 heures après ingestion. Sans surprise, les altérations de l’état mental, ainsi que les hallucinations et épisodes paranoïaques, ont été les symptômes les plus fréquemment observés. Aucun décès n’a été rapporté dans cette série.

Au Canada, la consommation de produits à base de psilocybine soulève également des préoccupations en santé publique. Une étude publiée en 2025 dans la revue en ligne JAMA Network Open par des chercheurs de l’Ottawa Hospital Research Institute a évalué l’accessibilité et les caractéristiques des boutiques vendant de la psilocybine, ainsi que les allégations de santé et les mises en garde affichées sur leurs sites internet. Il en ressort que la gamme de produits contenant de la psilocybine est très variée, certains emballages présentant ces produits comme de simples en-cas.

En mai 2024, 57 enseignes proposant de la psilocybine ont été recensées au Canada. Parmi elles, seulement 9 % mettaient en garde contre la conduite automobile après consommation et plus de 91 % offraient du chocolat infusé à la psilocybine…

Pour en savoir plus :

Hutson PR. Psilocybin Dispensaries and Advertising-Buyer Beware. JAMA Netw Open. 2025 Apr 1 ;8(4) :e252858. doi : 10.1001/jamanetworkopen.2025.2858

Matsukubo J, Dickson S, Xiao J, et al. Psilocybin Dispensaries and Online Health Claims in Canada. JAMA Netw Open. 2025 Apr 1 ;8(4) :e252853. doi : 10.1001/jamanetworkopen.2025.2853

Adamski C, Vaucel JA, Paradis C, et al. Intoxication familiale involontaire avec une tablette de chocolat contenant du Psilocybe cubensis : une étude de cas. Toxicol Anal Clin. 2024 Sep ;36(3) :278-285. doi : 10.1016/j.toxac.2023.12.002

Gartner HT, Wan HZ, Simmons RE, et al. Psychedelic mushroom-containing chocolate exposures : Case series. Am J Emerg Med. 2024 Nov ;85 :208-213. doi : 10.1016/j.ajem.2024.09.038

Investigation of Illnesses : Diamond Shruumz-Brand Chocolate Bars, Cones, & Gummies. FDA. June 2024

CDC Health Alert Network. Severe Illness Potentially Associated with Consuming Diamond ShruumzTM Brand Chocolate Bars, Cones, and Gummies. Nov 14, 2024

Severe Illness Potentially Associated with Consuming Diamond ShruumzTM Brand Chocolate Bars, Cones, and Gummies. Environmental Health Studies. CDC. Sep 2024

CDPH Urges Consumers Not to Eat PolkaDot Brand Mushroom Magic Blend Chocolate Bars. California Department of Public Health, Nov 22, 2024

Adamski C, Vaucel J-A, Paradis C, et al. Intoxication familiale involontaire avec une tablette de chocolat contenant du Psilocybe cubensis : une étude de cas. Toxicol Anal Clin. 2024 Sep ;36(3) :278-285. doi : 10.1016/j.toxac.2023.12.002

van der Schuur-Saleem R, Visser E, Robben H, et al. [Feeling unwell after eating a piece of chocolate]. Ned Tijdschr Geneeskd. 2023 Nov 23 ;167:D7916. PMID : 38175555

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