Il ne s’agit pas d’une première, mais une telle décision demeure rare. L’Etat a été condamné, mercredi 4 juin, pour « faute lourde », à verser 27 000 euros au titre du préjudice moral à la famille de Nathalie Debaillie, assassinée par son ex-conjoint à Lille en mai 2019.
Cette dernière avait averti quatre fois la police du harcèlement et des menaces qu’elle subissait de la part de son ex-compagnon, en vain. Estimant que l’inaction des services de police a été fatale à Nathalie Debaillie, son frère, ses deux enfants et le père de ces derniers avaient assigné l’Etat en justice. Dans son jugement rendu mercredi, la première chambre civile du tribunal de Paris a reconnu qu’il y avait eu « un dysfonctionnement traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui était confiée ».
Ni ces signalements ni ces plaintes n’ont été enregistrés et transmis au parquet, avait rappelé lors de l’audience l’avocate de la famille, Me Isabelle Steyer. L’agent judiciaire de l’Etat avait reconnu, de son côté, « la faute lourde » des services de police dans cette affaire de féminicide.
Nathalie Debaillie, 47 ans, est morte le 27 mai 2019 au matin, égorgée par son ancien compagnon, quelques minutes après avoir été kidnappée par trois hommes de main dans le parking de la banque où elle travaillait, à Lille. Jérôme Tonneau, 53 ans, n’avait pas supporté que cette dernière, avec qui il était en couple depuis deux ans, mette fin à leur relation quelques mois plus tôt. Pour cet assassinat, il a été condamné à trente ans de réclusion criminelle par la cour d’assises du Nord en juillet 2024.
Aucune enquête lancée
Jérôme Tonneau avait surveillé, harcelé et menacé la victime et sa famille pendant des mois à la suite de leur rupture en février 2019. Nathalie Debaillie avait déposé sa dernière main courante le 22 mai 2019, cinq jours avant son assassinat. Ce même 22 mai, elle avait été convoquée au commissariat après une plainte de son ex-compagnon lui reprochant un prétendu vol de portable (qui en fait lui appartenait). La plainte de Jérôme Tonneau, connu pour des faits d’escroquerie et d’incendie criminel, sous contrôle judiciaire depuis 2014, avait été dûment enregistrée et transmise au parquet.
Me Steyer avait observé à l’audience que ne pas avoir enregistré les plaintes déposées par la victime constituait « un cas d’école du traitement discriminatoire des plaintes déposées par les hommes d’un côté et les femmes pour violences conjugales de l’autre ». Lors du procès pénal devant les assises, la représentante du parquet avait tenu à présenter les excuses de l’institution à la famille de la victime face aux dysfonctionnements constatés.
« Les enquêteurs auraient dû, après information du procureur de la République, réaliser des actes d’enquête, procéder à toutes vérifications utiles et à l’audition du mis en cause », soulignent les juges dans la décision rendue mercredi. Le tribunal n’a en revanche pas retenu de faute lourde concernant l’inaction des services de police lors de son enlèvement, qui avait été dénoncée par les requérants, soulignant la « détermination des services enquêteurs à mettre en œuvre tous les moyens utiles afin de porter secours à Mme Debaillie ».
L’Etat a été condamné à verser 10 000 euros à chacun des deux enfants de la victime, Romain et Florine, 4 000 euros à son frère Nicolas Debaillie et 3 000 euros à son ex-mari Grégory, père de leurs deux enfants, au titre de leur préjudice moral. A l’audience, l’avocate de la famille avait réclamé des sommes bien plus élevées (200 000 euros pour chacun des enfants et 100 000 euros pour le frère et pour l’ex-mari). Elle n’était pas joignable dans l’immédiat pour commenter cette décision.
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En 2020, Me Steyer avait obtenu la condamnation de l’Etat dans une autre affaire de féminicide : l’assassinat d’Isabelle Thomas, abattue ainsi que ses parents par son ex-compagnon en août 2014 à Grande-Synthe (Nord). Une procédure pour « faute lourde » a également été engagée par la famille de Chahinez Daoud, brûlée vive en 2021 par son mari à Mérignac, en Gironde. L’Etat est aussi assigné dans l’affaire du féminicide de Sandra Pla à Bordeaux la même année.
En 2023, 96 femmes ont été victimes d’un féminicide, selon le dernier bilan publié par le ministère de l’intérieur. Les chiffres 2024 seront connus en fin d’année.