C’est l’histoire d’un adolescent de 15 ans, jusque-là en parfaite santé, amené aux urgences. Depuis deux heures, il n’arrive plus à écrire de messages sur son téléphone. Il sait pourtant précisément ce qu’il veut écrire, connaît les mots exacts, mais il ne parvient pas à taper les lettres dans le bon ordre pour former des phrases compréhensibles. Depuis trois jours, il a de la fièvre et de fortes douleurs à la tête.
Fait troublant : il est encore capable de parler normalement à sa mère, de prononcer des mots qu’il ne parvient pas à écrire. Il reconnaît également les objets que sa mère lui montre et peut les nommer.
Mais, trente minutes après son arrivée aux urgences, son état se dégrade. Il ne parvient plus à désigner les objets, même s’il parle encore de façon fluide. Son état général reste stable, mais sa température corporelle est de 39°C.
Ce garçon souffre de dystextie, un trouble identifié il y a une quinzaine d’années, qui rend difficile ou impossible l’écriture de messages sur un téléphone portable. Il est lié à une atteinte des régions du cortex cérébral associées au langage. Sa dystextie s’accompagne d’une incapacité à nommer des objets très courants (anomie) et d’une impossibilité à écrire ou taper son nom.
En revanche, il peut répéter correctement des phrases, lire un texte court et comprendre ce qu’il lit. Il ne présente ni faiblesse musculaire, ni troubles de la coordination. Il peut bouger de façon précise les mains et les doigts. La force musculaire et la sensibilité sont normales.
Les premiers examens biologiques (bilan sanguin et hépatique) ne montrent aucune
anomalie. En revanche, l’IRM cérébrale avec injection révèle plusieurs anomalies dans
les lobes insulaires des deux côtés, ainsi que dans les régions fronto-pariétales des deux
hémisphères.
L’analyse du liquide céphalorachidien (LCR), recueilli par ponction lombaire, montre une augmentation du nombre de globules blancs (pléiocytose lymphocytaire) et du taux de protéines (hyperprotéinorachie). Ces anomalies du LCR s’observent en cas d’inflammation des méninges. Un test PCR multiplex révèle la présence du virus Herpes simplex de type 1 (HSV-1), responsable d’une infection grave appelée méningoencéphalite herpétique.
Premier cas de dystextie observé lors d’une infection cérébrale
« À notre connaissance, c’est la première fois que l’on rapporte le cas d’un adolescent présentant une dystextie fébrile révélant une méningoencéphalite herpétique », font remarquer Florian Perrin de Brichambaut et ses collègues pédiatres neurologues et radiologues du CHU de Rouen dans un article paru en mars 2025 dans l’European Journal of Neurology.
Un traitement par l’antiviral aciclovir (pendant 21 jours), l’antibiotique céfotaxime (pendant 2 jours) et l’anti-inflammatoire stéroïdien solumédrol (pendant 5 jours) a été administré sans délai. L’état clinique s’est rapidement amélioré. En deux jours, l’adolescent a pu de nouveau écrire des messages sur son téléphone et rédiger à la main une phrase sans faire d’erreur.
Six semaines plus tard, les tests neuropsychologiques ont montré qu’il avait d’excellentes capacités en matière de langage et de compréhension. L’IRM de contrôle a montré quelques rares lésions séquellaires, sous la forme de petites cicatrices punctiformes dans les lobes insulaires.
Cet adolescent souffrait de dystextie. Cette pathologie peut revêtir de nombreuses formes : diminution de la rapidité à former les mots, phrases incohérentes, paraphasies (utilisation de mots qui ne sont plus employés dans leur sens véritable) ou encore persévérations verbales (répétitions inappropriées).
Ce trouble neurologique a été décrit pour la première fois en 2006 chez un homme de 40 ans après un petit accident vasculaire cérébral. Depuis, d’autres cas ont été rapportés dans la littérature médicale, notamment après des AVC, des migraines ou des tumeurs touchant une région précise du cerveau, en particulier l’insula gauche. D’autres causes ont été rapportées, notamment chez une patiente japonaise de 68 ans atteinte de sclérose latérale amyotrophique avec démence fronto-temporale.
Tous ces patients avaient du mal, voire étaient incapables, d’écrire des messages sur leur téléphone : ils tapaient lentement, faisaient des erreurs ou produisaient des phrases incohérentes. Ces troubles s’accompagnaient fréquemment d’autres signes d’atteinte du langage, le plus souvent d’une aphasie non fluente, c’est-à-dire une altération de la capacité à produire les mots.
Une certaine prudence s’impose dans l’analyse médicale de textos mal orthographiés. En
effet, les erreurs peuvent résulter des correcteurs automatiques ou des systèmes de saisie prédictives. D’ailleurs, des fautes d’orthographe sont souvent socialement tolérées dans les messages écrits. Cela peut facilement conduire à une fausse impression de dystextie, alors qu’aucun trouble neurologique n’est présent.
Écrire un message sur un téléphone repose sur l’intégrité des fonctions motrices, visuelles et langagières. On ignore cependant quelle zone du cerveau provoque la dystextie. « D’après les cas décrits d’origine vasculaire, il semble que la partie postérieure de l’insula gauche, vascularisée par l’artère cérébrale antérieure, soit la zone la plus spécifiquement impliquée dans ce trouble. L’insula apparaît jouer un rôle essentiel dans la capacité à transformer le langage en un autre mode de communication, comme l’écriture de textos. Chez cet adolescent, les deux lobes insulaires étaient atteints », précisent les auteurs.
Nécessité d’une prise en charge rapide
La dystextie est un trouble du langage que les médecins sont susceptibles d’identifier de plus en plus souvent dans leur pratique en raison de la généralisation des smartphones chez les adolescents. Selon les neurologues rouennais, l’examen clinique de base devrait notamment consister à faire répéter un mot et une phrase, demander de nommer cinq images, d’écrire un mot ou un message texte, de lire un court passage.
« Un épisode de dystextie aiguë constitue une urgence neurologique et doit être pris en charge comme une alerte AVC. Un examen d’imagerie cérébrale, idéalement une IRM, doit être rapidement réalisé. Identifier précocement une dystextie chez un patient peut aider à vite diagnostiquer une encéphalite herpétique, traiter précocement, et ce faisant à augmenter les chances de guérison complète », concluent les auteurs.
Quand dystextie révèle un AVC
Un cas clinique publié en 2013 dans la revue Neurology montre que la dystextie peut, à elle seule, révéler un AVC. Des neurologues de l’hôpital Henry Ford (Détroit, Michigan) décrivent le cas d’un homme de 40 ans dont la parole restait parfaitement fluide, tandis que ses messages écrits étaient devenus incohérents.
Son épouse avait reçu plusieurs SMS pour le moins étranges. Le premier, à 0h22, disait
simplement : « Oh baby your ; ». Quelques secondes plus tard, un second message suivait : « I am happy ; ». Deux minutes plus tard, un troisième SMS apparaissait : « I am out of it, just woke up, can’t make sense, I can’t even type, call if ur awake, love you. » (« Je suis à l’ouest, je viens de me réveiller, je ne comprends rien, j’arrive même pas à taper, appelle si tu es réveillée, t’aime. »). Son épouse les a décrits comme décousus, incohérents, et difficilement compréhensibles.
Le lendemain, à l’hôpital, l’examen neurologique ne révèle rien d’anormal, hormis une légère faiblesse du côté droit du visage. Les tests classiques d’évaluation du langage sont normaux. Mais lorsque le patient est invité à taper une phrase sur un smartphone, « the doctor needs a new blackberry » (« le docteur a besoin d’un nouveau Blackberry »), il écrit : « Tjhe Doctor nddds a new bb. » (« Ljhe Docteur bsssin d’un nouveau bb »). Invité à relire son message, il ne détecte aucune erreur.
Quand la dystextie est d’origine tumorale
Ce n’est pas la première fois que des médecins français rapportent un cas de dystextie. En 2020, des neurologues du centre hospitalier intercommunal Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois ont présenté le cas d’une patiente de 79 ans adressée pour de récents troubles du langage. Tout avait commencé par une difficulté à trouver les mots et à repérer les bonnes lettres sur le clavier de son téléphone. Cela s’accompagnait de paraphasies à l’oral et à l’écrit : elle remplaçait un mot par un autre sans s’en rendre compte. Par ailleurs, certains mots étaient déformés ou méconnaissables, bien au-delà de simples fautes d’orthographe habituelles, ce qui tranchait nettement avec sa manière habituelle d’écrire qui consistait à toujours employer des mots complets et correctement orthographiés.
L’IRM suspecte un processus tumoral. L’examen anatomopathologique réalisé sur la biopsie cérébrale a permis d’établir le diagnostic de glioblastome, une tumeur cérébrale agressive.
Dysdactie : difficulté à écrire et taper des textes à l’aide d’un clavier
Signalons pour conclure que la dystextie n’est pas le seul trouble de l’écriture en ces temps d’ère numérique. On parle de dysdactie (dystypia en anglais) pour désigner l’incapacité à écrire et taper des textes sur un clavier d’ordinateur.
Le premier cas de dysdactie, publié en 2002, concerne un sexagénaire qui avait fait un AVC ischémique, avec arrêt de la circulation sanguine dans une zone du lobe frontal gauche.
En 2024, des neurologues japonais ont décrit le cas d’une femme de 48 ans présentant à la fois une dystextie et une dysdactie, mais sans aphasie (trouble du langage), à la suite d’un AVC situé en profondeur dans le cerveau (infarctus sous-cortical).
La distinction clinique entre dystextie et dysdactie semble cependant artificielle dans la mesure où les écrans tactiles des téléphones portables ressemblent beaucoup aux claviers des ordinateurs. Quoi qu’il en soit, il importe de savoir repérer une dystextie ou une dysdactie pour dater précisément le début des symptômes, mais aussi révéler une pathologie cérébrale, qu’elle soit d’origine vasculaire, infectieuse ou tumorale.
S’il ne fallait retenir qu’une seule chose de ces cas cliniques, ce serait que ces symptômes « modernes » peuvent apparaître dès le début d’un AVC et que, bien souvent, ils en constituent les seuls signes cliniques. Ainsi, si une personne présente une frappe anormale au clavier ou envoie des messages textuels incohérents, il faut immédiatement contacter les services d’urgence, car cela peut être le signe d’un infarctus cérébral.
Pour en savoir plus :
Perrin de Brichambaut F, Dupuy G, Sarda E, et al. Teenager Febrile Dystextia. Eur J Neurol. 2025
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