Le tribunal judiciaire de Paris a condamné, le 13 mai, Gérard Depardieu à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits d’agressions sexuelles commis, en 2021, à l’encontre de deux assistantes sur un tournage. Dans sa décision, le tribunal ne s’est pas limité à constater les éléments matériels et intentionnels de l’infraction : il a également retenu que les propos tenus par la défense au cours de l’audience avaient contribué à une « victimisation secondaire » des plaignantes.
Cette motivation, jusque-là inédite dans le droit français, a suscité des réactions contrastées. Pour certains, elle symbolise un basculement du procès pénal vers une logique émotionnelle, où la parole de la victime devient intangible et la contestation suspecte. Pour d’autres, elle amorce une dérive : celle d’une restriction implicite du droit de la défense. Je ne partage pas cette lecture.
La victimisation secondaire désigne les souffrances supplémentaires que subissent certaines victimes, non du fait de l’auteur de l’infraction, mais de la manière dont elles sont traitées par les institutions : auditions répétées, interrogatoires déplacés, propos moralisateurs, absence de prise en compte d’éventuelles vulnérabilités. Ces violences procédurales peuvent avoir des effets profonds, durables, parfois plus destructeurs que le contentieux lui-même.
La brutalité gratuite sanctionnée
Ce concept, né dans la littérature psychiatrique, a été consacré juridiquement par la recommandation (2006)8 du Conseil de l’Europe, puis intégré dans la convention d’Istanbul (2011) et la directive européenne 2012/29/UE, qui impose aux Etats de prévenir toute forme de « revictimisation ». En 2021, dans une décision dite « J.L. c. Italie », la Cour européenne des droits de l’homme a franchi un seuil : elle a condamné l’Italie pour avoir tenu, dans une décision judiciaire, des propos culpabilisants sans lien avec l’analyse des faits. Ce fut la première reconnaissance contentieuse d’une victimisation secondaire fondée sur les mots du juge. Une avancée symbolique et juridique majeure.
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