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Histoires Web mardi, avril 22
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Cet article est tiré de notre supplément « Le Goût de M », consacré au Japon, en vente sur la boutique du Monde.

Implanter un ryokan — ces auberges traditionnelles japonaises où l’on évolue à pas feutrés en kimono sur des sols en tatamis — en pleine campagne normande, à Sainte-Colombe-la-Commanderie, pas très loin d’Evreux (Eure), telle a été l’intrépide idée de Jason Ricard et Alison Escoffier, 31 ans. En 2022, ils décident de plaquer leur appartement du 18ᵉ arrondissement de Paris et leurs jobs respectifs (directeur artistique pour lui, modéliste dans la mode pour elle) afin de faire germer sur cette terre, où les grands-parents de Jason étaient autrefois agriculteurs, quelques graines de philosophie nippone.

Dans une maison de 450 mètres carrés entièrement bioclimatique construite de leurs mains, ils accueillent, depuis mai 2024, des retraites collectives et des week-ends individuels où l’on s’adonne au yoga, au bain sonore de bols népalais et autres méditations au gong, en profitant des repas végétariens arrosés à l’eau et au thé Sencha, concoctés par Marie Hue, ancienne cheffe pâtissière de palaces étoilés.

Sur les 4000 mètres carrés d’un verger abandonné, le couple est parti d’un cahier des charges émotionnel. « A travers ce projet, on a voulu traduire les sensations que nous avons ressenties lors de plusieurs séjours au Japon, en tirant le rideau d’un ryokan ou en randonnant sur un sentier datant de l’ère Edo… », raconte Jason Ricard. Plutôt qu’un décorum de lanternes et de petit pont rouge enjambant un ruisseau, ils optent pour une harmonie subtile inspirée de l’art de tailler les arbres. « L’idée est d’enlever tout ce qui est superflu pour laisser passer la lumière et faire circuler la sève. L’inverse du luxe occidental qui a tendance à ajouter. »

Des matériaux écologiques

Ce jour-là, leur allure – lui, des tatouages géométriques et une veste chinée à Osaka ; elle, un pantalon large en laine et une cape à fines rayures – semblent parfaitement accordée à l’épure du lieu. À l’extérieur, une surprenante façade recouverte de 9000 lames de liège, comme taillées dans un même bloc, attire l’œil. Ossature des murs en paille, isolation en panneaux de lin et de denim recyclé, toit en bois et en confettis de journaux… le couple a fait le choix radical et exclusif d’opter pour des matériaux écologiques permettant de se passer de chauffage, hormis un poêle à bois, et de climatisation.

Après le sas d’entrée, véritable transition où l’on enfile des chaussons en fibre végétale, s’aligne sur la gauche une dizaine de chambres minimalistes tandis que sur la droite, se déploie la magistrale pièce de vie. Une très longue table basse monacale se hisse au-dessus d’un vide creusé dans le sol permettant d’y glisser ses jambes. Autour, une belle collection de vinaigriers, pots à moutarde et vaisselle en grès chinée dans des brocantes du coin réinterprète la céramique japonaise en terroir normand. Les étagères, bancs, lits et tables d’appoint ont été dessinés par Jason Ricard, puis sculptés dans les noyers et les cerisiers du jardin.

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Car ici, presque tout a été construit par les propriétaires du lieu, des fondations en béton recyclé à la cuve de récupération des eaux de pluie enterrée dans le jardin : « Pour des raisons financières mais aussi parce que les artisans ne maîtrisaient pas toujours les matériaux qu’on voulait utiliser, on a dû mettre la main à la pâte ». Pour cela, ils se sont formés dans des ouvrages d’auto-construction, sur des blogs et sur YouTube. « Le premier jour du chantier, on s’est retrouvé avec nos bottes Aigle, une vieille pelleteuse achetée sur Leboncoin et pas d’électricité », sourit Alison Escoffier.

Épaulés par leurs proches et des amis – dont les noms sont gravés sur un mur du salon – ils travaillent d’arrache-pied, six jours par semaine pendant deux ans, pour donner vie à leur petite utopie. Et le résultat est à la hauteur de leur engagement. Assis face aux immenses baies vitrées du salon, on pourrait passer des heures à observer le cèdre niwaki, taillé à la japonaise, dresser sa forme de nuage sur une petite île recouverte de mousse au milieu de l’étang… Le prochain rêve d’Alison Escoffier et Jason Ricard est d’inaugurer un deuxième lieu de retraite sur l’île de Tinos, dans les Cyclades, au-dessus d’une crique sauvage, mêlant bien-être et initiation à l’artisanat local.

namo-ryokan.fr
@namo.normandie

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