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Histoires Web dimanche, avril 20
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La déclaration est symbolique mais il ne faut pas méconnaître la force politique des symboles. En déclarant, le jour du bicentenaire de l’ordonnance royale du 17 avril 1825 reconnaissant l’indépendance de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, que la décision de forcer la jeune République d’Haïti au paiement d’une somme exorbitante pour indemnité de son émancipation avait « placé un prix sur la liberté d’une jeune nation », livrant celle-ci à la « force injuste de l’histoire », Emmanuel Macron a accompli, au nom de la France, un geste important.

Proclamée le 1er janvier 1804 par le général Jean-Jacques Dessalines, après la victoire des troupes rebelles contre le corps expéditionnaire français arrivé à Saint-Domingue en 1802 dans le but de reprendre le contrôle de l’île et d’y rétablir l’esclavage, la République d’Haïti a bel et bien dû s’acquitter d’une somme de 150 millions de francs or, ramenée à 90 millions en 1838, afin de dédommager les planteurs esclavagistes dépossédés.

Cette dette, bientôt augmentée d’intérêts astronomiques qui firent les beaux jours des banques françaises et qui furent payés jusqu’en 1953, a pesé d’un poids considérable sur les épaules de ce territoire exsangue, lesté dès l’origine par la violence et l’héritage des structures sociales issues de l’esclavage.

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Les faits historiques, ici, sont connus et parfaitement établis. Aussi la commission mixte franco-haïtienne annoncée par Emmanuel Macron sera « chargée d’examiner notre passé commun et d’en éclairer toutes les dimensions ». Placée sous la présidence conjointe de l’historien et diplomate français Yves Saint-Geours et de Gusti-Klara Gaillard-Pourchet, professeure à l’université d’Etat d’Haïti, celle-ci se trouve devant une mission aussi politique qu’historique : élaborer entre la France et Haïti un récit partagé susceptible de déboucher sur « un avenir plus apaisé » – préalable nécessaire avant toute discussion sur la nature d’éventuelles réparations.

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Le travail ne sera pas aisé, tant les difficultés sont immenses : l’Etat haïtien, prisonnier d’une spirale sans fin de violences, n’est guère plus aujourd’hui qu’une abstraction, et la tâche de rétablir un gouvernement stable à Port-au-Prince est titanesque.

Quant à l’Etat français, il doit mener à bien un exercice de retour sur son passé, encore inachevé. Si, dans sa déclaration, Emmanuel Macron fait l’éloge de la révolution haïtienne, qui, « en harmonie avec les idéaux de la Révolution française, aurait dû offrir à la France et à Haïti l’opportunité de faire chemin commun », il attribue un peu vite la responsabilité de la rupture aux seules « forces de la contre-révolution » à l’œuvre après la Restauration de 1814 – autrement dit aux Bourbons, passant sous silence l’expédition voulue par Napoléon Bonaparte pour rétablir l’esclavage. C’est pourtant ce qui avait conduit les Haïtiens à proclamer leur indépendance – tandis que la rébellion guadeloupéenne était, elle, réprimée dans le sang.

Ainsi, alors qu’à Paris les législateurs travaillaient à parachever la Révolution par le code civil, définissant un socle de droits hérités des Lumières que la France ambitionnerait bientôt d’offrir au monde, les héritiers de 1789 avaient décidé que l’égalité des hommes, malgré son caractère « universel », ne s’étendait pas jusqu’aux colonies, sur la base d’un préjugé de couleur. Une décision dont les effets perdureront jusqu’à la fin de l’empire colonial français.

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Le Monde

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