Puisque rien ne se perd et que tout se recycle, surtout le pire, nous voilà confrontés, depuis quelques semaines, à l’impensable retour sur le devant de la scène du jean skinny. Après une mise au ban de la société longue de plusieurs années, celui-ci reviendrait même, disent les tiktokeurs et marchands de tendances, en fanfare, la tête haute et la taille basse, les cuisses plaquées, les mollets moulés et les chevilles serrées, pour ne pas dire menottées.
Comment réagir face à une telle annonce ? Passés la surprise, l’effroi et même, pour tous ceux qui se souviennent que Cheap Monday n’est pas le nom d’une opération promotionnelle d’Amazon mais une marque suédoise à oublier, l’angoisse de voir se rouvrir une plaie à peine cicatrisée, la seule attitude raisonnable est évidemment le rejet. Le blocage. La désobéissance civile. Soyons solennels une seconde : là, il faut dire non.
Revenons aux origines pour ceux qui auraient perdu la mémoire. Concrètement, le jean skinny, le vrai, est apparu pour la première fois au milieu des années 1980, au moment où les progrès de la technique ont permis l’ajout d’une touche d’élasthanne dans le denim. Car c’est cela qui caractérise le skinny. Fort de cette once de Stretch qui le distingue strictement du jean slim, il colle en effet fermement à la jambe, de haut en bas, pour ressembler finalement davantage à un legging qu’à un pantalon, mais sans le confort du premier.
Mauvais produit, destiné à mal vieillir (l’élasthanne se ramollit toujours et ne se patine jamais), le jean skinny est surtout, incontestablement, un supplice esthétique total. Pour une Kate Moss sortie amochée mais vivante de l’épreuve du skinny-ballerines, combien de corps sabotés et déséquilibrés ? Combien de ventre cupcake, de culs disparus, de jambes fil de fer et de pieds péniches ? Combien, au fond, de drames humains ? Trop. Beaucoup trop.
« L’élégance, c’est l’air entre la peau et le vêtement », nous dit un jour, au détour d’une anodine conversation, un ami passionné de vêtements et amoureux des volumes de la mode japonaise. Si son assertion est juste, alors, la démonstration s’achève ici pour de bon. Vêtement d’asphyxie, étouffant les membres, le skinny est peut-être bien l’absolu de l’inélégance. Tous ensemble votons massivement contre son retour.