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Histoires Web mercredi, mars 19
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Histoire d’une notion. Le féodalisme s’est éteint en Europe entre le milieu du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, mais le mot a survécu. Il resurgit de temps à autre pour décrire une situation dans laquelle une puissance dominante prélève une rente sur une multitude d’individus. Par exemple, le philosophe allemand Jürgen Habermas, au début des années 1960, parlait de « reféodalisation » (« Refeudalisierung ») pour décrire l’irruption de grands groupes privés dans l’espace du débat public, notamment à travers la publicité et la consommation de masse.

Depuis quelques années, dans la littérature économique ou militante, on croise souvent l’expression « techno-féodalisme ». Intrigante car elle réunit deux termes a priori opposés, elle désigne le modèle économique sur lequel prospèrent les grandes entreprises technologiques comme Google, Amazon, Apple ou Meta. L’idée est que ces groupes tirent profit d’une rente, comme le faisaient les seigneurs à l’époque féodale.

L’économiste grec Yanis Varoufakis a adopté le concept, qui lui est désormais souvent attribué. Nommé ministre des finances en janvier 2015 dans le gouvernement de gauche formé pendant la crise de la dette publique grecque par son ami Alexis Tsipras, il avait démissionné avec fracas six mois plus tard, en désaccord avec ce dernier.

Il a publié en 2023 un livre, Techno-feudalism (paru en France sous le titre Les Nouveaux Serfs de l’économie, Les Liens qui libèrent, 2024), dans lequel il s’emploie à démontrer que le capitalisme est mort, tué et remplacé par un système pire encore. Au marché ont succédé des plateformes de vente (comme Amazon) ; et le profit a cédé la place à la rente. Quant à nous, nous sommes les nouveaux serfs : nous récoltons des données, qui vont être exploitées par les seigneurs, les maîtres des GAFA Jeff Bezos, Elon Musk et Mark Zuckerberg.

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A la fin du livre, dans une page de remerciements, Varoufakis rend discrètement hommage à un économiste français, membre des Economistes atterrés, Cédric Durand. Ce dernier est l’auteur d’un livre lui aussi intitulé Techno-féodalisme (La Découverte), publié en 2020. Varoufakis l’a lu, et s’en est visiblement inspiré. Durand y décrit un phénomène similaire : une logique de prédation a fait dérailler le capitalisme. Celle-ci a pris le pas sur la logique de production, ce qui a eu raison de la croissance. Les nouveaux seigneurs sont ceux qui contrôlent les données et les capacités de traitement de celles-ci. Ces données sont indispensables à la vie sociale contemporaine, comme l’était la terre au Moyen Age.

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