Peut-on se permettre de conserver une juridiction criminelle qui, en plus d’avoir fait reculer la démocratie par l’effacement du jury populaire, a aggravé les problèmes qu’elle était censée résoudre ? La réponse à une telle question ne pouvant être que négative, les cours criminelles départementales (CCD) doivent être supprimées.
Expérimentées dans une poignée de départements dès 2019 avant d’être généralisées à la quasi-totalité du territoire national en 2023, les CCD ont remplacé les cours d’assises pour juger en première instance les personnes majeures accusées de crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion – soit environ 57 % des affaires criminelles, dont une écrasante majorité de viols, selon les chiffres de l’étude d’impact de la loi de 2019 ayant institué les cours criminelles départementales.
Par la création de ces juridictions, composées de cinq magistrats et dont la principale caractéristique est de faire l’économie du jury populaire, le législateur espérait mettre sur pied une justice plus rapide (car rendue « entre professionnels »), enfin capable de juger les crimes dans un délai raisonnable. Consécutivement, il espérait mettre fin à la correctionnalisation – pratique par laquelle des crimes sont fictivement requalifiés en délits pour être jugés plus rapidement par un tribunal correctionnel –, notamment en matière de viol.
Héritage de la Révolution
Cinq ans après leur lancement, l’échec de ces cours est manifeste, au point d’être reconnu au sommet de la hiérarchie judiciaire. Dans un réquisitoire implacable, Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, a déclaré, le 10 janvier, que « la récente création des cours criminelles départementales n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés », et a même « contribué à accroître la charge des juridictions criminelles et aggravé la pression des délais ».
Un constat confirmé par un rapport de l’inspection générale de justice – daté de mars 2024, mais récemment révélé par les éditions Dalloz –, dont il ressort que, si les CCD ont permis de juger plus vite les accusés détenus relevant de cette juridiction, elles ont « de facto allongé le délai de jugement des accusés détenus relevant de la cour d’assises et, plus encore, celui des accusés libres », de sorte qu’elle a globalement contribué à l’embolie de la justice criminelle. Le même rapport conclut que les cours criminelles départementales n’ont absolument pas mis un terme à la pratique de correctionnalisation, qui demeure un phénomène massif. En bref, pour les CCD, c’est un zéro pointé.
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