Qui sont les scientifiques les plus brillants ou les plus influents en leur domaine ? Depuis plusieurs années, une liste prétend donner la réponse. Il s’agit de celle des « Chercheurs les plus cités » (Highly Cited Researchers, HCR), publiée annuellement par l’entreprise américano-britannique Clarivate. Elle compte pour 20 % dans la note qui établit le classement dit « de Shanghaï », plus exactement l’Academic Ranking of World Universities (ARWU), qui prétend, lui, classer les universités. Elle est aussi « référencée par de nombreuses universités, gouvernements, organisations commerciales, éditeurs de revues », énumère une porte-parole de l’entreprise.
Intéressée par l’influence de cette liste dans le paysage, Lauranne Chaignon, ingénieure de recherche CNRS en documentation à l’université Paris Sciences et lettres, vient d’en publier une « anatomie », comme l’indique le titre de son article du 20 février dans Quantitative Science Studies. Selon elle, ce recensement des HCR a du plomb dans l’aile.
L’histoire commence, comme souvent en bibliométrie, avec Eugene Garfield (1925-2017), linguiste américain considéré comme le père de la discipline, inventeur notamment du controversé « facteur d’impact », indicateur qui classe les revues scientifiques. Il crée en 1960 l’Institute for Scientific Information (ISI), vendu à l’entreprise Thomson Reuters – qui le transformera en entreprise du nom de « Clarivate » en 2016. Entre 1981 et 1982, il collecte patiemment une liste des « 1 000 chercheurs les plus cités » entre 1965 et 1978. « Cités », dans le jargon, signifie que les articles d’un scientifique sont mentionnés en référence bibliographique à la fin des articles de leurs pairs. Cette « citation » est considérée comme un « vote » en faveur d’un article, que Garfield totalise donc pour établir sa liste.
Etape suivante, l’ISI constitue entre 2001 et 2008 une base de données recensant les 5 000 chercheurs les plus cités dans 21 disciplines et enrichie de leurs CV détaillés après prise de contact avec lesdits chercheurs.
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