FRANCE 2 – MARDI 4 MARS À 21 H 10 – SOIRÉE DOCUMENTAIRE
Quatre-vingts ans déjà et comme l’impression que l’écho de son témoignage, traduit en 95 langues et lu par des dizaines de millions de personnes, se perd désormais dans les tourments d’un monde à nouveau bouleversé. Anne Frank, 15 ans, est morte du typhus dans le camp de concentration de Bergen-Belsen en mars 1945, quelques jours après sa sœur, Margot. Son père, Otto, fut le seul des huit occupants de l’Annexe, au 263 Prinsengracht, à Amsterdam, à avoir échappé à la mort.
La famille Frank et quatre de leurs proches vécurent reclus dans cet espace de 40 mètres carrés du 6 juillet 1942 au 4 août 1944, aidés par un groupe d’amis avant d’être victimes d’une dénonciation et d’être déportés par les nazis, secondés par des collaborateurs néerlandais.
Aux Pays-Bas, longtemps qualifiés de pays philosémite, les trois quarts des quelque 160 000 juifs furent exterminés. Il fallut attendre 2020 pour voir un chef de gouvernement, Mark Rutte, présenter des excuses officielles pour l’action des autorités néerlandaises, qui n’avaient pas agi, dit-il, « en tant que gardiennes de la justice et de la sécurité ».
Deux approches singulières
Jusqu’au dernier jour, « Annelein » (son surnom) s’était inquiétée du sort de son journal, qu’elle avait dû abandonner dans la cache, aujourd’hui devenue une partie du musée Maison Anne Frank. C’est Miep Gies, l’une des femmes qui soutinrent courageusement les reclus, qui le trouva et le remit au père de l’adolescente à son retour d’Allemagne. Otto Frank, convaincu par un ami de la portée universelle du récit, le fit publier aux Pays-Bas d’abord, puis en Allemagne, dans le monde entier ensuite.
Afin de commémorer la date de la mort de la jeune Anne, France 2 a renoncé au récit historique et privilégié deux approches singulières. Celle du réalisateur Alexandre Moix, auteur d’une sorte de fiction documentaire mêlant à la lecture du journal par l’actrice Suliane Brahim des documents d’archives, des reconstitutions, des propos d’époque et des images de jeunes d’aujourd’hui, apparemment intéressés par le livre mais dont on ignore ce qu’ils en pensent puisqu’on ne leur a pas donné la parole.
Et celle de Mona Achache, qui a décidé de faire de l’écrivaine Lola Lafon la figure centrale d’une autre évocation d’Anne. L’autrice, plongée dans la pénombre, relit des extraits de son livre Quand tu écouteras cette chanson, paru en 2022 chez Stock. Cette descendante de juifs polonais affirme avoir commencé à écrire pour « faire comme » Anne Frank. En 2021, elle a passé, seule, une nuit dans le musée d’Amsterdam, renouant avec « une jeune fille qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant ».
Silences poignants
« Quelqu’un pourrait-il comprendre ce que je ressens ? », interrogeait « Annelein » dans son journal, évoquant son « attente insupportable » et se demandant même s’il n’aurait pas mieux valu mourir plutôt que d’être contrainte de vivre « comme un oiseau sans ailes, se cognant aux barreaux de sa cage trop étroite ». Quatre-vingts années plus tard, « oui, moi je t’ai comprise », semble lui répondre Lola Lafon, convaincue, comme Anne, qu’« on écrit parce qu’on ne sait pas par quel autre biais attraper le réel ».
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Très intense, empli de silences poignants, le film de Mona Achache aurait été le contrepoint parfait de celui d’Alexandre Moix si ce dernier ne s’était pas limité à une évocation finalement assez superficielle, renforcée par une musique qui lui confère une dose trop forte de sentimentalisme – d’autant plus malvenu que des milieux révisionnistes et négationnistes usent généralement de ce terme pour dénigrer le livre et pousser l’odieux jusqu’à affirmer qu’il est une invention d’Otto Frank.
Si le documentaire réussit, en revanche, à cerner le vrai caractère, impétueux, colérique et rêveur d’une jeune fille à laquelle on a honteusement interdit de vivre, il aurait aussi gagné à évoquer les dures réalités d’aujourd’hui. Comme le fait que plus de la moitié des Néerlandais estimaient, en 2023, que leur pays n’avait pas été impliqué dans la Shoah. Ou que près d’un quart des 25-35 ans de ce pays affirment que la Shoah est « un mythe exagéré ». En janvier, les Archives nationales révélaient qu’après la libération, 425 000 Néerlandais avaient fait l’objet d’enquêtes pour des faits de collaboration.
Anne Frank. Journal d’une adolescente, d’Alexandre Moix (Fr., 2025, 90 min) ; Quand tu écouteras cette chanson, de Mona Achache (Fr., 2025, 49 min).