L’Organisation des Nations unies (ONU) a accusé le régime déchu au Bangladesh, mercredi 12 février, d’être responsable de crimes contre l’humanité au moment de la répression du mouvement de protestation à l’été 2024. S’appuyant sur les « témoignages de hauts responsables et d’autres preuves », un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) fait état d’« une politique officielle visant à attaquer et à réprimer violemment les manifestants et sympathisants antigouvernementaux, ce qui soulève des inquiétudes quant à des crimes contre l’humanité nécessitant une enquête urgente approfondie ».
Citant « diverses sources crédibles », le rapport estime que « jusqu’à 1 400 personnes pourraient avoir été tuées entre le 1er juillet et le 15 août », et que « des milliers d’autres ont été blessées », selon un communiqué. Le rapport précise que la grande majorité des personnes tuées ont été abattues par les forces de sécurité, et que 12 % à 13 % étaient des enfants.
Le HCDC accuse, par ailleurs, de graves violations des droits humains l’ancien gouvernement de Sheikh Hasina, les services de sécurité et de renseignement bangladais, ainsi que des « éléments violents » associés à la Ligue Awami, le parti de Mme Hasina. Il précise que la police a fait état de 44 tués. Inculpée par la justice bangladaise de crimes contre l’humanité, Mme Hasina fait l’objet de plusieurs mandats d’arrêt internationaux. A la tête du pays depuis 2009, l’ancienne première ministre avait fui son palais et trouvé refuge en Inde le 5 août, après plusieurs semaines d’émeutes réprimées dans le sang.
« Stratégie calculée et coordonnée de l’ancien gouvernement »
Le HCDH affirme avoir « des motifs raisonnables de croire que les crimes contre l’humanité de meurtre, torture, d’emprisonnement et d’autres actes inhumains ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre des manifestants et d’autres civils considérés comme susceptibles de se joindre aux protestations ou de les soutenir ». « La réponse brutale était une stratégie calculée et bien coordonnée de l’ancien gouvernement pour s’accrocher au pouvoir face à une opposition de masse », déclare le haut-commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, dans le communiqué. « Il existe des motifs raisonnables de croire que des centaines d’exécutions extrajudiciaires, d’arrestations et de détentions arbitraires massives, et de tortures ont été perpétrées au su, avec la coordination et sous la direction des dirigeants politiques et des hauts responsables de la sécurité, dans le cadre d’une stratégie visant à réprimer les manifestations », poursuit-il.
Par ailleurs, une des principales organisations de défense des droits humains au Bangladesh, Odhikar, a annoncé mercredi qu’une douzaine de personnes étaient mortes en détention depuis l’été, notamment à la suite de tortures ou de blessures par balle. « Les personnes impliquées dans les exécutions extrajudiciaires doivent être traduites en justice », a réclamé le directeur d’Odhikar, ASM Nasir Uddin Elan, auprès de l’Agence France-Presse.
L’organisation a détaillé la manière dont les forces de sécurité ont commis, au cours des quinze années de règne de Mme Hasina, des meurtres en grand nombre pour renforcer son pouvoir et ont continué à se livrer à de graves violations des droits humains depuis la chute du régime. Trois des personnes mortes étaient aux mains de la police et les autres étaient sous le contrôle d’autres unités de sécurité, y compris les forces armées et le redouté Bataillon d’action rapide (ou RAB, pour Rapid Action Battalion, en anglais) paramilitaire. Au moins sept victimes sont mortes après avoir subi des tortures, et quatre ont été blessées par balle, affirme Odhikar. Une autre personne a été battue avant d’être poussée d’un pont par la police, a-t-il ajouté.
Un Prix Nobel de la paix à la tête du pays
La mobilisation contre le pouvoir de Mme Hasina avait débuté en juillet 2024 après une décision de justice autorisant le retour de quotas d’emplois publics : cette mesure avait été vue comme une possibilité pour la cheffe du gouvernement de confier des postes gouvernementaux à des personnes à sa solde.
Un gouvernement provisoire mené par le Prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus, a pris les rênes du pays jusqu’à des élections générales, annoncées pour la fin de l’année ou le début de 2026. A la demande de M. Yunus, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait envoyé en septembre une équipe au Bangladesh, composée d’enquêteurs spécialisés sur les droits humains, d’un médecin légiste et d’un expert en armement, afin d’enquêter sur la répression des manifestations.
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« La responsabilisation et la justice sont essentielles à la guérison nationale et à l’avenir du Bangladesh », selon Volker Türk, afin de s’assurer que les graves violations des droits humains « ne puissent plus jamais se reproduire ».