Observer et attendre le moment propice avant d’intervenir sur la toile. Dans cet état de contemplation, presque méditatif, Omar Mahfoudi guette les moments de transformation de la lumière depuis la fenêtre de son atelier, à Montreuil, dans l’Est parisien, du crépuscule à l’aurore.
« C’est un temps que je trouve nécessaire pour que l’invisible prenne forme, l’instant où la lumière se reflète dans le paysage. L’idée d’attente représente une grande partie du processus créatif, souligne le natif de la vieille médina de Tanger, qui a tant inspiré le peintre français Eugène Delacroix (1798-1863). Depuis le toit de la maison, j’admirais cet horizon composé de plages et de collines, des paysages que l’on retrouve souvent dans mes tableaux. »
« Beaucoup de gens à Tanger rêvent de traverser la Méditerranée et, pourtant, pour bon nombre de ceux qui franchissent le pas, la traversée devient une tragédie. J’étais dans l’attente et j’ai réussi à aller de l’autre côté. Mais je ne me considère pas pour autant comme un survivant », se souvient-il.
Quitter son pays est une décision lourde, même lorsque le départ se fait légalement. Pour beaucoup, l’Europe est perçue comme un eldorado, un espoir à atteindre à tout prix, quitte à prendre des risques extrêmes. A Tanger, ville carrefour, Omar Mahfoudi a été le témoin de nombreuses histoires de départs clandestins, de personnes bloquées dans l’attente d’un passage, loin du paradis espéré.
Né en 1981 dans une famille populaire – son père était peintre en bâtiment à Gibraltar et sa mère femme au foyer –, l’artiste, qui a vécu jusqu’à ses 35 ans au Maroc avant de venir s’installer en France, oscille sur ses toiles entre réalisme et abstraction, entre lumière et obscurité. Réalisme pour souligner la technique, la maîtrise ; abstraction pour signifier l’inconnu, les émotions.
Une liberté d’expression
« J’aime créer un dialogue entre ces opposés, une confrontation continue entre contrôle et spontanéité. La peinture doit parler d’elle-même sans que l’on y impose beaucoup de narration. La lumière symbolise l’espoir et la couleur, tandis que l’obscurité évoque l’angoisse, le mystère et la perte de repères », précise-t-il.
Omar Mahfoudi n’a pas suivi de formation dans une école des beaux-arts, il a obtenu un baccalauréat en arts plastiques. Mais l’enseignement traditionnel ne lui convenait pas. Il était intéressé par les peintres modernes, cherchant une liberté d’expression qu’il ne trouvait pas dans l’apprentissage technique et académique. C’est dans ses recherches qu’il construit son univers esthétique.
« J’ai grandi en regardant des dessins animés qui ont été mes premières sources d’inspiration. Je m’amusais à reproduire leurs personnages. Puis, vers l’âge de 17 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la peinture. Avec des amis, on achetait des magazines au marché aux puces, comme Beaux-Arts ou Connaissance des arts. A 18 ans, j’ai quitté la maison familiale pour trouver un atelier et m’immerger pleinement dans le monde artistique. C’est là que j’ai découvert ce qui me faisait vraiment vibrer », se remémore-t-il.
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Grâce à son père qui l’avait inscrit dans une école espagnole, en parallèle de son école marocaine, il fréquente assidûment la grande bibliothèque et se plonge dans les biographies des Picasso, Dali, Velazquez, Goya ou le Greco, en lisant parallèlement des poètes comme Federico Garcia Lorca ou des écrivains comme Gabriel Garcia Marquez. Il explore également des littératures locales, notamment celle de Mohamed Choukri, ou écrites par des visiteurs célèbres du Maroc comme l’Américain Allen Ginsberg, membre fondateur de la Beat Generation.
« Aller à l’essentiel »
Florian Azzopardi, fondateur et directeur de la galerie Afikaris, rencontre pour la première fois Omar Mahfoudi en 2019. Mais c’est l’année suivante, en visitant son atelier, qu’il découvre son univers : « Il venait alors me présenter une nouvelle série d’encres sur papier, radicalement différente de ses créations précédentes. J’ai été séduit par la puissance de ses œuvres. Il ne fallut que peu de temps pour décider qu’elle serait le cœur de l’exposition inaugurale, “Quitter la ville”, de notre première galerie située près de Beaubourg. »
« Waiting for the Light to Change », titre de l’exposition du moment, est pour le galeriste « une fenêtre pour échapper au monde qui nous entoure, en nous rappelant notre vulnérabilité et notre besoin de nous reconnecter à la nature. J’y vois des hommes perdus dans de grandes étendues et seuls, jusqu’à disparaître dans une certaine abstraction. Ces dernières années, Omar a concentré sa réflexion sur le fait de ne pas ajouter d’éléments mais, au contraire, d’en enlever pour aller à l’essentiel. La liberté de son acte artistique est l’une de ses grandes forces, lui permettant de se renouveler » au fil des années.
Tons pastel chauds, doux et clairs (orange et dérivés), mais surtout bleu cobalt foncé pour tracer les contours des personnages, les silhouettes des végétaux, qui agissent comme des témoins guidant le spectateur dans un univers onirique. Ce bleu qui fascine le peintre lui rappelle son enfance, face à l’océan Atlantique et à la mer Méditerranée, et l’accompagne depuis longtemps.
« Un druide des temps modernes »
Une alternative à la couleur noire que « les impressionnistes refusaient. Pour cette exposition, j’ai voulu me lancer un défi en travaillant avec l’obscurité. Une lumière minimale, presque fragile, avec des horizons désormais flous, presque effacés, pour évoquer des illusions. J’avais des images en tête, comme des mirages, que je me devais de représenter. C’était devenu presque obsessionnel. J’ai envie aujourd’hui de me diriger de plus en plus vers une peinture plus abstraite ».
Enfin, « l’harmonie qui réside dans les tableaux d’Omar tient à la symbiose qu’entretiennent la nature et la lumière. La toile incarne l’illumination, nous menant à connaître la transfiguration universelle, tout en nous plongeant dans une rêverie insoluble. (…) Il se révèle être un druide des temps modernes, usant de ses talents pour soulager les maux de son entourage », conclut Edouard Henry, formé à l’histoire, aux cultures et aux arts de l’Afrique à l’Ecole du Louvre, dans une monographie dédiée à l’artiste et éditée par la galerie Afikaris.
« Waiting for the Light to Change », d’Omar Mahfoudi, à la galerie Afikaris, 7 rue Notre-Dame-de-Nazareth, 75003 Paris. Jusqu’au 1er mars.