ARTE – MERCREDI 5 FÉVRIER À 22 H 35 – DOCUMENTAIRE
Dépressif Vincent Lindon ? C’est un peu court ! Seul face à l’objectif, l’acteur développe : « Très peu patient, irritable, incroyablement lucide (…). Je ne suis pas très beau, mais avec le physique que j’ai, je me débrouille très, très bien (…). Je suis une des personnes les plus bonnes qui existent. Mais je peux tuer (…). Je suis d’un égoïsme et d’un égocentrisme sans égal, prêt à tout donner à quelqu’un qui en a besoin ; (…) une fureur sans égale. Je suis avide de pouvoir. Je veux diriger, être le patron, le meilleur, le numéro un, tout le temps. Et je veux qu’on le sache. »
C’est pour que le plus grand nombre « sache » qui est Vincent Lindon qu’il a dit oui à Thierry Demaizière et Alban Teurlai, les réalisateurs de ce documentaire inédit en forme d’autoportrait, bâti à partir de ses propres enregistrements, à peine enrichis de rares archives, de son enfance ou d’actualité.
Le comédien a, en effet, pris l’habitude d’enregistrer, sur son dictaphone ou sur son smartphone, ses idées – noires –, ses réflexions – désespérées – à tout moment, dans son appartement parisien, lors d’un tournage, à Cannes… A l’exception de deux ou trois fugaces instants de presque bonheur, cette confession intime heurtée, à la sincérité émouvante, draine des tonnes de désespoir.
Ses rôles ne sont pas en cause, même si Vincent Lindon apparaît souvent en porte-parole d’une détresse citoyenne, de Welcome (2009), de Philippe Lioret, à La Loi du marché (2015) et En guerre (2018), de Stéphane Brizé ; de Comme un fils (2024), de Nicolas Boukhrief, à Jouer avec le feu, de Delphine et Muriel Coulin, actuellement à l’affiche.
Peur de vieillir
La cause de son mal-être remonte, selon lui, à son enfance, vécue entre une mère trop belle et un père dont il avait peur, jusqu’à leur divorce quand il avait 5 ans. « J’ai senti, quand j’étais petit, que j’étais une déception pour eux. » Il a même entendu son père dire à sa mère : « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour avoir un fils pareil ? » Alors, aujourd’hui, il a « la haine ».
Il reste donc à maugréer. Qu’il soit seul chez lui à passer le temps, ou seul à 19 h 32 devant des bulots-mayonnaise, à La Closerie des lilas, une brasserie chic parisienne. « Cela fait quarante ans que je souffre. Je fais un métier qui ne répond pas à mes questions. » Seul encore en voiture, il téléphone à son médecin, en tenant son smartphone de sa main droite (bandée) et en feuilletant son petit carnet surchargé au surligneur, de la main gauche.
Alors quand, après s’être plaint de devoir partir en vacances, il tombe en panne un 14 juillet et se filme vociférant au bord de l’autoroute, impossible de réprimer un sourire. Brièvement. La séquence suivante, il s’enregistre en pleine crise de larmes, après la mort de son frère Sylvain.
La peur de mourir, et donc de vieillir – scène déchirante de Titane (2021), de Julia Ducournau, Palme d’or à Cannes – est un thème récurrent qui alimente ses angoisses. Seule sa fierté semble lui offrir de rares répits. Comme lorsqu’il est choisi pour présider le Festival de Cannes, en 2022. Il lit alors doctement le message qu’Alain Delon lui a envoyé, juste avant de monter sur scène : « Merde pour ce soir. Tu es à ta place. » Il ne lui en faut pas plus pour être rassuré.
Vincent Lindon, cœur sanglant, documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (Fr., 2024, 82 min). Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 5 mai. Précédé du film Un autre monde, de Stéphane Brizé (Fr., 2022, 97 min).