MYCANAL – À LA DEMANDE – FILM
Depuis la grosse sensation d’Un prophète, de Jacques Audiard, en 2009, il semblait que le croisement du film de prison et de mafia corse fût une terre brûlée pour le cinéma français. Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet, 2020) en aura décidé autrement pour son quatrième long-métrage, inspiré d’un fait divers. Il le fait d’autant plus à ses risques et périls que Borgo met en scène un personnage qui joue sa peau, misant sur son sens stratégique de la survie pour s’en sortir dans le panier de crabes carcéral (et ici insulaire) qui l’enserre.
Elle se nomme en l’occurrence Melissa, Hafsia Herzi l’interprète, c’est une surveillante pénitentiaire expérimentée de la prison de Borgo, en Corse, où elle vient de s’installer avec sa famille – Djibril, le mari chômeur, un garçon et une fillette – pour tenter de donner un nouveau départ à sa vie. Une double coïncidence allume le moteur du récit. D’une part, la rencontre à Borgo d’un jeune détenu, Saveriu (Louis Memmi), qu’elle a connu antérieurement dans une prison sur le continent, et avec lequel elle a noué une sorte de sympathie. Ensuite, l’entrée en matière locative problématique, avec un voisin raciste et énervé.
La liaison entre ces deux événements coule pour ainsi dire de source. Sous ses airs de gentil garçon, Saveriu, membre d’un puissant gang insulaire, s’inquiète de la préoccupation de Melissa, qui a eu elle-même la faiblesse de la lui confier, et prend sur lui d’ôter l’épine que ce voisin sanguin a plantée dans son pied. Deux membres du gang viennent ainsi sans tarder lui rendre une visite amicale, qui règle en une minute toute velléité de conflit. Ce service n’est pas rendu pour rien. Il oblige la jeune femme, n’eût-elle rien demandé.
Nécessaire culture du compromis
La spirale est ainsi ouverte d’une chaîne d’obligations qui iront du petit service rendu à l’implication dans un règlement de comptes. La pression mafieuse, la peur, l’appât du gain, la volonté de sauver sa famille, sont ici autant d’éléments qui permettraient d’expliquer ce processus.
Ce que le film a de meilleur tient dans la révélation de cet engrenage insidieux qui, dans la réalité tant carcérale qu’insulaire, prend appui sur une nécessaire culture du compromis pour conduire, dans certains cas, à la transgression pure et simple de la loi.
On est moins convaincu par le traitement narratif alternant deux plans temporels différents, celui de la matonne dans la logique proprement dite de l’action et celui, beaucoup moins probant, du commissaire (Michel Fau) exagérément débonnaire chargé de l’enquête à la suite de l’assassinat auquel elle aura participé. De même, l’épilogue produit par la réunion finale des deux segments paraîtra-t-il trop promptement noué pour nous convaincre tout à fait.
Borgo, de Stéphane Demoustier, avec Hafsia Herzi, Louis Memmi, Moussa Mansaly, Michel Fau (Fr., 2024, 118 min).