Livre. « De quoi se compose l’émeute ? De rien et de tout. D’une électricité dégagée peu à peu, d’une flamme subitement jaillie, d’une force qui erre, d’un souffle qui passe. Ce souffle rencontre des têtes qui parlent, des cerveaux qui rêvent, des âmes qui souffrent, des passions qui brûlent, des misères qui hurlent, et les emporte. » Un siècle et demi plus tard, devant la multiplication des embrasements urbains et populaires, la question posée par Victor Hugo dans Les Misérables (1862) méritait d’être posée à nouveaux frais. En effet, « à l’ère de la globalisation des révoltes, l’émeute paraît en être la forme par excellence », note Michel Kokoreff, professeur de sociologie à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis et chercheur au CNRS, dans Emeutes (Anamosa, 112 pages, 9 euros).
Pour autant, ce qui distingue l’émeute de l’insurrection, de la sédition, de la révolution ou de la catégorie policière des « violences urbaines » n’est pas toujours bien compris. Fidèle à l’esprit de la collection « Le mot est faible » de la maison d’édition Anamosa, le sociologue s’est donc attelé à rendre sa signification politique à un phénomène aussi vite médiatisé qu’oublié, pour tenter d’expliquer la montée et la récurrence de ces violences collectives.
Terreau de l’embrasement
Prenant pour point de départ et pour objet principal les « émeutes de la mort » qui se succèdent dans les quartiers et banlieues populaires en France depuis les années 1970, et en particulier celles qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre, l’ouvrage explore ce qui, d’un épisode à l’autre, reste.
Le « script », d’abord : de l’incident mortel aux violences, du déploiement massif des forces policières aux promesses politiques, le schéma reste le même. Les causes, ensuite, car la ségrégation urbaine et les inégalités grandissantes entre les territoires, persistantes malgré la multiplication des dispositifs de rénovation et de désenclavement, constituent hier comme aujourd’hui le terreau de l’embrasement. Le carburant, enfin, tant la question des violences policières et du racisme reste au centre des discours des participants.
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