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Regard fier et sourire en coin, Abdel Hamid Dbeibah, premier ministre du gouvernement libyen dit « d’union nationale » (dont l’autorité est reconnue par la communauté internationale), parcourt les différents stands, dans les allées du Palais des congrès de Tripoli, avant de gagner l’auditorium. Ce bâtiment aux larges baies vitrées, vitrine d’une Libye moderne où l’homme d’affaires devenu politicien aime tant recevoir des chefs d’Etat étrangers et des acteurs internationaux lors de grands forums, accueillait, samedi 18 et dimanche 19 janvier, la troisième édition du Sommet libyen sur l’énergie et l’économie.

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Devant une assemblée de professionnels de l’industrie pétrogazière (dont des représentants du français TotalEnergies, de l’italien Eni et du britannique BP) et de décideurs politiques, M. Dbeibah a annoncé, lors de son discours d’ouverture, le lancement de « nouvelles campagnes d’exploration visant à accroître les réserves de pétrole ». Avec 48 milliards de barils, le pays détient déjà près de 41 % des réserves prouvées en Afrique, selon une étude de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA), mais une large partie de son territoire n’a pas encore été sondée et pourrait donc renfermer davantage d’hydrocarbures.

Par ailleurs, la Libye, qui dispute au Nigeria la place de premier producteur de pétrole du continent, projette d’augmenter sa « productivité », affirme le premier ministre. En janvier, sa production avoisine 1,4 million de barils par jour, d’après Abdel Hamid Dbeibah (1,1 million selon les données de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) ; toujours en deçà des 1,7 million d’avant la chute de la dictature de Mouammar Kadhafi, en 2011. « Pour augmenter sa production et compenser les baisses actuelles des champs plus anciens, la Libye doit attirer davantage d’investissements étrangers et de capacités techniques », souligne l’EIA dans une analyse publiée le 6 décembre.

Pour ce faire, les organisateurs ont annoncé un « nouveau cycle d’octroi de licences pétrolières et gazières dans le courant de l’année ». Leurs arguments, distillés au cours de deux jours de conférences vantant les atouts de la Libye – dont sa proximité avec l’Europe –, sauront-ils convaincre les investisseurs ? « Avec des factions rivales qui exploitent le secteur pétrolier et des pratiques frauduleuses, le secteur énergétique libyen semble loin de l’environnement stable et transparent que recherchent les investisseurs, constate Emadeddin Badi, du cercle de réflexion Atlantic Council, à Washington. Sans efforts concrets pour réformer ce système et garantir la transparence, le sommet risque de n’être qu’un exercice de communication. »

Outil de pression

Le secteur énergétique libyen est à l’image du pays depuis 2011 : miné par le morcellement du territoire entre groupes armés, l’instabilité politique et la corruption des élites. La signature d’un accord de cessez-le-feu en 2020 entre le gouvernement de Tripoli, soutenu par une galaxie de milices, et l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL), dirigée par le maréchal Khalifa Haftar depuis Benghazi (est), a ouvert la voie à une relative stabilité sécuritaire, mais sans empêcher les luttes politiques autour de la rente pétrogazière.

Les autorités de l’Est étaient ainsi les grandes absentes du sommet. Elles contrôlent pourtant la majorité des champs de pétrole du pays, dont elles se servent régulièrement comme outil de pression sur leurs rivales.

Dernier exemple en date : le 26 août 2024, elles ont fermé les vannes de la production pétrolière pour faire face à la tentative du gouvernement de M. Dbeibah de remplacer le gouverneur de la Banque centrale libyenne, Sadiq Al-Kebir, par un profil lui étant plus favorable. La mesure a fait grimper le prix du brent de 3,2 %. Benghazi n’a rouvert le robinet qu’après avoir obtenu gain de cause, deux mois plus tard, avec la nomination par ses soins d’un nouveau cadre, Naji Mohamed Issa Belqasem, validé par ses soins. Entre-temps, le blocage aurait coûté environ 2,6 milliards de dollars (soit 2,5 milliards d’euros) au Trésor libyen.

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Pour les acteurs politico-militaires, la rente pétrogazière est aussi devenue un moyen de se financer illicitement. Durant la crise estivale autour de la Banque centrale, le clan au pouvoir a profité de la situation pour détourner des millions de barils de pétrole vendus au profit de la société Arkeno Oil, propriété de Saddam Haftar, le fils du maréchal. La transaction, réalisée en dehors des canaux officiels, aurait rapporté à la société plus de 400 millions de dollars, selon le site spécialisé américain OilPrice.com.

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Une pratique répandue pour le clan : en avril 2024, la police canadienne avait ainsi accusé deux anciens employés de l’ONU de « complot visant à vendre du matériel militaire en Libye », mettant en lumière une tentative d’échange de drones militaires contre du pétrole brut avec des intermédiaires chinois.

Détournements

Du sud de la Tunisie au nord du Tchad, en passant par certains pays du pourtour méditerranéen, le carburant subventionné est vendu en contrebande, aux dépens de l’Etat, par différentes milices. « Ce que les acteurs libyens ont compris, c’est qu’ils sont capables de monétiser les richesses naturelles du pays, observe Jalel Harchaoui, chercheur associé au Royal United Services Institute, à Londres. Ils commencent donc à détourner du pétrole brut, du carburant et des richesses en nature, en échange de dollars ou d’autres trocs grâce à leurs réseaux transnationaux. »

Jeudi 16 janvier, Farhat Bengdara, président de la puissante National Oil Corporation (NOC), l’entreprise publique d’hydrocarbures, a démissionné, officiellement pour des raisons de santé. L’ancien banquier, originaire de Benghazi et réputé proche de M. Haftar, était toutefois sous le feu des critiques après de nombreux rapports sur des détournements d’hydrocarbures depuis sa nomination, en 2022. Sous sa présidence, la NOC a multiplié les trocs de pétrole brut contre du carburant afin d’assurer la continuité de l’approvisionnement, privant la Libye de milliards de dollars d’entrées de devises qu’elle aurait obtenues en vendant ces hydrocarbures sur les marchés internationaux.

Son successeur, dont le nom n’est pas encore connu, aura la lourde tâche de reprendre le contrôle du secteur des hydrocarbures, dont dépendent 97 % des revenus de l’Etat. Sans ça, les nombreuses perturbations dans la production pourraient compromettre les capacités de la Libye à se fournir sur les marchés internationaux en denrées essentielles alors que le pays est grandement dépendant des importations.

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« La Libye n’est pas du tout à l’abri d’un effondrement économique, prévient Jalel Harchaoui. C’est-à-dire que d’un seul coup, les dirigeants pourraient se rendre compte qu’ils n’ont plus les moyens de payer les salaires des fonctionnaires et d’accéder aux dollars pour fournir la population en nourriture, en pain et en médicaments. »

Face à la prédominance de l’économie de rente, les autres secteurs restent largement sous-développés, laissant le pays à la merci des variations du cours du brut. Pour préparer l’après-pétrole, les organisateurs du sommet à Tripoli ont affiché l’ambition de se lancer dans la production d’énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne. Ces projets ne sont toutefois qu’au stade d’esquisse.

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